L’Europe et moi
Marie Fauvet, maire de Cluny, nous raconte comment elle est devenue européenne dans l’âme. Depuis les cours d’anglais à l’école, jusqu’à son engagement dans les projets européens de financement agricole, en passant par les voyages et les rencontres, du grand Nord et de l’Irlande à l’Espagne, à la Toscane, à Tramayes, à Cluny et plus encore. Un itinéraire initiatique très varié.
Comme beaucoup de personnes de ma génération, ma première exploration de l’Europe s’est faite grâce à l’enseignement des langues étrangères. Après l’étude de la culture dans les manuels, mon premier voyage scolaire a lieu à Barcelone, en 1980. Ensuite, les explorations se sont poursuivies dans le cadre des loisirs ou du travail, dont je vous livre ici quelques souvenirs personnels.
1982, l’Irlande, avec des amis « folkeux » : que de musique partout, dans le moindre pub reculé ! et des danseurs de tous âges qui tricotent allègrement des pieds sur les gigues : l’intergénérationnel
vécu intensément dans ces salles de danse. Autre surprise, tous les irlandais ne parlaient pas anglais, et c’est souvent le gaëlique qui règne en maitre.
1986, visite à une amie assistante de langue française dans un lycée à Dusseldorf : pour moi qui ne parlait pas un mot d’allemand, c’était compliqué, mais j’ai découvert que la plupart des personnes croisées, parlait très bien l’anglais, et souvent le français ! C’est sûr, les allemands ont une longueur d’avance sur nous pour l’apprentissage des langues.
1987, la Yougoslavie but de notre voyage de fin d’étude centré sur les problématiques agricoles, et ce mémorable match de Basket de coupe des champions d’Europe entre l’ASVEL (et nos copains
étudiants) et le KK Zagreb. Pas besoin de parler croate, juste savoir crier !
1990, mes deux jeunes soeurs étudient au Pays de Galles, que c’était long le bus pour rejoindre Cardiff, mais que c’était bon de les voir après quelques mois d’absence. Et la merveille des bains
romains à Bath, montrant que l’Europe antique est une réalité encore bien visible.
1991, Bruxelles, la capitale européenne, ses institutions où oeuvrait mon chéri. Bruges et Gand, et les pistes cyclables qui mènent à la mer du Nord, le vent dans les cheveux, la découverte de la mobilité douce sur des infrastructures dédiées.
2003, arrivée à Tramayes, et avec notre gite sur le chemin de Compostelle, on se retrouve relié à l’Europe. Quel souvenir que notre premier pèlerin accueilli, un chef d’orchestre allemand, fraichement retraité, qui était parti seul, et qu’on a amené avec nous au concert programmé dans le village voisin…
2005, la Toscane avec nos amis Tramayons, nos enfants tous casés, la liberté et la sensation de beauté partout, ces vallons verdoyants, qu’on admire depuis les tours de San Giminiano, au détour
d’une route sous Montepulciano, ce champ de coquelicots… et les villes, la place de Sienne ou les remparts de Lucques. Mais aussi le délice permanent de la cuisine italienne !
2009, vacances de Toussaint à Londres en famille, les musées sont gratuits quelle chance, l’occasion pour nos collégiens de découvrir « en vrai » certains trésors de leurs manuels scolaires, comme la
pierre de Rosette. Mais surtout, pour nous c’est la vie dans les musées qui est une surprise, comme cette animation « Inde » à Victoria et Albert Hall, où les filles ont pu jouer et danser comme à Delhi.
2010, nous cherchons la douceur printanière au Portugal, pour les vacances d’hiver bien enneigées en France. Après Porto, Coimbra et son université européenne, Sintra où les Bourbons ont laissé
des traces, et les cloîtres partout, à Tomar, ou Alcobaca, où nous cueille la dimension européenne des ordres monastiques, là-bas celle des cisterciens !
2010, direction les Pays Bas, où des amis nous attendent à la gare de Lieden. Dès l’arrivée, on sait qu’on est dans le haut lieu de la petite reine : des étages de vélos et un système de parking bien
rodé pour être sûr de s’y retrouver, des pistes cyclables prioritaires partout. Même avec des enfants, pas de problème de sécurité. Quelle beauté que ces tulipes et jacinthes à perte de vue et quelle confiance aussi dans le civisme des concitoyens avec des ventes de fleurs en libre-service au bout des champs.
2011, l’Espagne, le choc de Guernica au musée de la reine Sophie puis cap au Sud. L’ Andalousie, ses pépites Séville, Grenade, Cordoue et toujours l’Europe, Charles Quint a laissé sa marque au milieu de toute cette architecture mauresque. A l’époque, je ne cherche pas encore les sites clunisiens…
2016, road trip jusque dans le Monténégro, en traversant l’Italie, la Slovénie, la Croatie, où on s’est plus particulièrement attardé : l’Europe sportive nous a rattrapé, la coupe d’Europe de foot, vécue
en directe dans les bars avec accueil garanti aux compatriotes de Griezmann, grande star chez les Croates !
2018, Prague, la découverte du faste des Habsbourg, et la boucle bouclée pour moi fille de l’Ain, abonnée à Brou où repose Marguerite d’Autriche ! Prague c’est aussi le poignant cimetière juif et les
heures sombres de l’Europe.
Et puis, l’Europe c’est également des souvenirs professionnels, quand on travaille comme moi sur les filières agricoles :
1992 sort le règlement européen sur les indications géographiques protégées, et je passe de nombreux mois à travailler cette question de la transposition de nos labels agro-alimentaires français à l’échelon européen, mais souvent avec des produits « témoins » à déguster ! il y a eu aussi la visite des Hongrois à Lyon, pour connaitre notre système français et l’exporter chez eux, avec
des interprètes heureusement, cette langue indo-européenne est si compliquée !
2005, je suis recrutée sur un projet financé par l’Europe (les fameux programmes EQUAL), pour promouvoir l’économie sociale et solidaire et créer des emplois en milieu rural ; La MSA de Saône et Loire a monté le partenariat avec des Italiens, Polonais et Finlandais. C’est reparti pour les échanges et les voyages, à la découverte des systèmes des différents pays : les coopératives italiennes de type A et B et leurs consortiums, les ONG polonaises où l’on s’interdit de parler de coopératives, les organisations collectives finlandaises dans le domaine de la santé ou de l’économie circulaire. C’est pour moi la découverte des « extrêmes » de l’Europe, à l’approche du pôle nord. Et oui, à Waasa en Juin, il n’y a pas de nuit, et la vie s’adapte à la longueur des journées (y compris les humains), on n’aura très peu dormi, vous l’aurez compris !
2009, je deviens experte dans l’art d’activer les financements européens. Grace au FEADER, nouvelles rencontres européennes, et l’anglais comme langue de travail où je suis loin d’être « fluently » ! Mais que de perspectives, ces échanges nous donnent à voir, et on se dit « si eux y arrivent, pourquoi pas nous, nous avons les mêmes règlements européens ! » : c’est vrai pour les circuits courts dans les hôpitaux italiens et pour les abattoirs mobiles en Suède.
Depuis 2020, à la mairie de Cluny, je découvre la richesse du réseau des sites clunisiens, et les échanges s’activent autour du projet UNESCO : Allemande, Espagnol, Suisse, Italienne et Britannique composent, avec tout de même quelques membres français, le conseil d’administration de la fédération européenne des sites clunisiens. Cette fois c’est une obligation, je dois travailler l’histoire de l’Europe, et les langues étrangères pour partir à la découverte de tous ces fabuleux sites.
Pour moi c’est tout cela l’Europe, et je souhaite contribuer à la faire vivre, en profitant de la dynamique de notre territoire, apportée par ses habitants, ses visiteurs, son histoire ! Nous sommes heureux de démarrer en cette rentrée 2021, l’école immersive en anglais, qui correspond, pour les classes où les enseignants sont formés, à un enseignement en langue anglaise la moitié du temps (la montée en puissance sur plusieurs années de ce dispositif permettra aux enfants d’avoir un niveau d’anglais de fin de collège en CM2). Une contribution de plus pour que les jeunes de demain aient le goût de l’ailleurs et que se perpétue les voyages scolaires. Merci aux enseignants de garder l’enthousiasme d‘organiser année après année, pour des générations d’enfants et adolescents, des escapades hors de nos frontières.
Et nous savons que nous pouvons aussi compter sur la maison de l’Europe à Cluny pour relayer toutes les initiatives européennes d ’ici et nous donner envie d’aller voir là bas.
Marie FAUVET
Maire de Cluny