Comment j’enseigne l’histoire et la géographie de l’Europe au lycée. Interview
Jean-François Demongeot, vous êtes professeur d’histoire et de géographie au Lycée la Prat’s de Cluny. Vous enseignez l’histoire de l’Europe aux élèves des classes terminales. L’actualité dramatique de l’invasion de l’Ukraine par la Russie met en évidence l’importance de votre rôle. Notre histoire européenne en effet est à un tournant. Elle renvoie à des événements terribles qu’ont vécu les parents de vos élèves.

Comment votre enseignement se déploie-t-il ?
En Histoire-Géographie, l’enseignement de l’Europe au lycée se déroule sur les 3 niveaux de Seconde, Première et Terminale : il est donc au coeur de notre programme d’apprentissage. En classe de Terminale, par exemple, un thème entier de 12 heures de cours aborde l’Union européenne et ses dynamiques complexes dans la mondialisation.
Est-ce de l’Histoire ou de la Géographie ?
Cette question concerne essentiellement la géographie et la géopolitique.
Quel est votre fil rouge ?
Le fil rouge – ou problématique – est « Comment l’Europe peut-elle venir au monde ? ».
Nous abordons trois chapitres essentiellement :
• Le premier : comment la politique européenne favorise-t-elle son intégration dans la mondialisation ? Nous traitons successivement de l’Union Européenne en tant qu’espace intégré avec la PAC, Airbus ou la politique européenne des transports, en tant que vecteur d’une intégration
réussie. Nous poursuivons avec les territoires européens inégalement ouverts sur le monde et nous terminons le premier chapitre avec la recherche de la compétitivité européenne.
• Le deuxième chapitre développe le sujet de l’impact de la mondialisation sur l’UE : nous y traitons de l’Europe comme pôle plus ou moins ouvert sur le monde ainsi qu’une nécessaire conciliation entre conscience géopolitique en Europe et intérêts partagés (désaccords idéologiques, montée des tensions face à la crise migratoire et volonté de devenir un modèle sur l’échiquier international).
• Enfin, toujours en géographie, nous faisons une approche de la recomposition du territoire français dans le cadre de l’Union Européenne.
L’histoire de l’Europe est-elle abordée en Terminale ?
Oui, l’Europe est traitée également dans le détail, en 8 heures, en histoire depuis la CECA et son aboutissement, le traité de Rome en 1957 jusqu’à aujourd’hui. Le thème important est la construction européenne entre élargissement, approfondissement et remises en question (de la
CEE à l’UE et une UE face à un faisceau de crises).
Quelles méthodes et quels outils utilisez-vous en cours ?
Les méthodes sont classiques. Le cours dialogué est beaucoup utilisé. Mais pour étudier la question européenne qui est complexe, j’utilise beaucoup les travaux dirigés, en groupe, à partir d’études de cas comme par exemple les mutations des frontières de l’UE de 1990 à nos jours, les défis posés par l’élargissement de l’UE ou encore les limites de l’approfondissement de l’UE. La difficulté la plus importante dans cet enseignement est l’étude et la compréhension des institutions européennes. Après plusieurs années, j’ai choisi d’organiser un jeu de rôle pour mieux comprendre le mécanisme de vote d’une loi dans notre Union. Mais la problématique ici reste complexe… Enfin le cours magistral est un vecteur d’apprentissage qui revient à la mode. S’agissant des outils, les supports privilégiés sont le diaporama qui permet aux lycéens de mieux suivre le cours et la distribution
de documents suivis de questions. L’Europe, ce sont également des cartes, donc je leur apprends à
construire des croquis et des schémas légendés et simplifiés.
De quels événements traitez-vous ?
Les événements sont nombreux, il faut donc faire des choix judicieux : le traité de Rome et ses objectifs, le traité de Maastricht et ses débats, le traité d’Amsterdam et ses conséquences, la création de l’Euro, le printemps arabe et ses conséquences dans l’UE, mais aussi quelques figures de l’Union Européenne avec les pères fondateurs de l’Europe, quelques chanceliers ou présidents et leur rôle.
Avez-vous perçu au cours de votre carrière une évolution dans le contenu de l’enseignement de la question européenne ?
Oui, l’évolution du contenu de la question européenne a été fulgurante au cours des quelques 40 dernières années. Dans les années 1980, l’Europe était enseignée presque exclusivement de façon
positive. La CEE était une véritable aventure qui permettait de préserver la paix et la démocratie et d’améliorer le quotidien de ses habitants. La première rupture est intervenue avec Maastricht, la deuxième avec Amsterdam. Les manuels scolaires évoquent davantage les défauts de l’Union, ses faiblesses et ses limites.
Les lycéens, répétant ce qu’ils entendent chez eux, sont plus en retrait par rapport à l’idée européenne qu’ils ne considèrent plus du tout, pour une majorité d’entre eux, comme une aventure mais plutôt un boulet. Notre travail consiste donc à remettre « la vache au milieu du pré » et sans obligatoirement faire l’apologie de l’Union, en montrer tous les avantages que les uns et les autres
peuvent en tirer. Surtout, à la lumière de l’actualité, avec l’invasion de l’Ukraine par « l’Ogre russe », je pense qu’il sera plus facile désormais d’expliquer avant tout que l’Union européenne permet d’asseoir la paix entre les 27.
Partez-vous de notre histoire nationale pour la prolonger en histoire de l’Europe ou traitez-vous de l’histoire de l’Europe en tant que telle ?
En fait, les deux sont possibles. Nous pouvons commencer par l’histoire nationale en évoquant par exemple la reconstruction française et ses difficultés pour montrer que la CECA l’a facilitée. La plupart du temps, cependant, nous évoquons l’histoire et la géographie de l’Europe en tant que telle. En géographie, il est plus facile de parler des différentes échelles et de les relier entre elles. Le changement d’échelle est très apprécié par les géographes et permet aux élèves de mieux comprendre les questions traitées en partant de l’échelle locale puis en passant par l’échelle nationale pour arriver enfin à l’échelle européenne ou mondiale.
De quelle Europe traitez-vous : de l’atlantique à l’Oural ? L’Europe des 27 ?
Nous évoquons à la fois l’Europe en tant qu’entité géographique et construction historique – c’est l’Europe de l’Atlantique à l’Oural voulue et évoquée par le Général – que l’Europe en tant qu’organisation économique régionale puis politique et enfin sociale. Maintenant, dans les programmes, l’Europe des 27 prend le pas sur la « grande Europe ».
Quel est votre objectif : assurer une bonne compréhension de cette histoire pour leur permettre de comprendre l’Europe d’aujourd’hui ?
Oui, il faut tisser ou retisser les mailles de l’histoire, de la géographie, de la géopolitique et des sciences politiques pour qu’ils puissent comprendre l’immense travail accompli depuis 70 ans. Cette mise en perspective est essentielle, primordiale, pour leur faire comprendre la situation actuelle, les avancées économiques, politiques, sociétales et sociales dont nous bénéficions tous aujourd’hui et ceci grâce au travail acharné des responsables politiques et attachés à la progression de l’idée européenne et à sa réalisation matérielle.
Tentez-vous de stimuler chez vos élèves leur citoyenneté européenne ? Comment réagissent les élèves ?
J’essaie de les éclairer. Le plus souvent, je démarre sur les symboles et les valeurs de l’Union européenne (le respect de la dignité humaine, la démocratie, la liberté, l’Etat de droit), sur le passeport européen, sur ERASMUS, je leur montre les avantages que l’Union peut leur apporter.
Ici aussi, je tente de mettre en perspective les choses : vous sentez-vous plus européens ou américains ou asiatiques…
Nous nous retrouvons ainsi sur un socle de valeurs que nous partageons tous à peu près …, et nous partons de ce socle de valeurs communes pour poursuivre l’étude.
Quelles difficultés rencontrez-vous ?
Les difficultés sont celles que tout professeur peut rencontrer. Il s’agit « simplement » d’être intéressant et intéressé par le sujet étudié et de savoir transmettre cet intérêt. Vaste programme …
Jean-François Demongeot
Interview, Robert De Backer