La France, la Grande-Bretagne et l’Entente Cordiale, ou… comment oublier (presque) des siècles d’inimitié
Jusqu’au milieu du vingtième siècle, la guerre était souvent utilisée par les puissances européennes pour régler des différends, renforcer des alliances politiques ou étendre leur pouvoir et leur influence. Un rapide coup d’œil sur les grands événements de ces derniers siècles en Europe confirme cette affirmation.
En effet, il y a eu des périodes en Europe où la guerre, notamment entre la France et l’« Angleterre » d’alors, semble avoir été un état de fait naturel. Si l’on ne considère que la « Guerre de Cent Ans » (1337-1453), les « Guerres de la Révolution française » (1792-1802) ou les « Guerres napoléoniennes » (1803-1815), on constate que l’hostilité entre les deux pays était presque endémique. Non que les relations entre eux aient toujours été difficiles alors que le reste de l’Europe était harmonieux, mais il est évident qu’une grande partie de l’histoire actuelle du continent a souvent été façonnée par la relation entre la France et son voisin d’outre-Manche !
Après la bataille de Waterloo, il y eut une paix de fait entre la France et « l’Angleterre », désormais appelée « Bretagne ». L’histoire de France entre 1815 et la fin du XIXe siècle est à la fois complexe et pleine d’incidents alors que la Grande-Bretagne connaît une période de relative stabilité. Après la guerre franco-prussienne de 1870-1871, le décor allait lentement être planté pour un accord plus formel entre la France et la Grande-Bretagne.
L’accord, finalement signé en 1904 après de nombreuses tractations diplomatiques, n’était pas du type d’accord que son titre – « entente cordiale » – suggère. En Grande-Bretagne on le désigne toujours par la phrase française, jamais par sa traduction anglaise, ce qui équivaut pour les Français, cette fois, à une nouvelle victoire, mais vidée de son sens.
En effet, « Entente cordiale » ne veut pas dire « nous sommes amis maintenant », même si beaucoup le pensent j’imagine ! Certes non ! Comme on peut le penser d’un accord réglé entre diplomates expérimentés et peut-être cyniques, il s’agit plutôt de trouver des solutions qui profitent aux deux parties. La France après 1870 voyait une Allemagne de plus en plus dangereuse et puissante et la Grande-Bretagne aura plus tard la même vision. En outre, elle avait beaucoup à faire pour garder l’Empire sous contrôle, en particulier en Inde et en Afrique du Sud. Nos deux pays voulaient également s’assurer qu’aucune hostilité ne serait possible entre eux car ils voyaient des instabilités de plus en plus préoccupantes au sein même de l’Europe. L’accord se lit un peu comme « vous pouvez avoir ceci, si nous pouvons avoir cela » : la Grande-Bretagne obtient l’Egypte, la France obtient le Maroc ; d’autres domaines de désaccord ou de conflit possible au Sénégal/Gambie, au Nigeria, en Thaïlande, en Indochine (française) ont également été résolus. Il s’agissait d’un accord complexe et global. Vu d’aujourd’hui, cela ressemble à deux puissances coloniales consolidant leur emprise sur les pays qu’elles dirigent – et d’une manière qui semble inexcusable. C’est peut-être un rappel de tout ce qui a changé en Europe depuis lors. Une décennie plus tard, en 1914, les tensions entre tous ces pays européens seront incontrôlables.
Laissons cette ancienne image négative et essayons d’analyser ce que pourrait signifier l’accord aujourd’hui. Dans un sens, cela ne veut rien dire du tout, car les relations entre la France actuelle et la Grande-Bretagne sont positives et fortes (avec deux guerres mondiales qui les cimentent davantage) ; dans certains domaines tels que la capacité militaire, l’implication et la coopération ont été portées à des niveaux élevés. Le Brexit étant devenu une réalité, les deux pays considèrent la coopération bilatérale comme plus essentielle que jamais.

En 2004, à l’occasion du centenaire de l’Entente cordiale (8 avril 1904), La Royal mail et La Poste ont commémoré ce rapprochement à travers 2 œuvres contemporaines : « Lace I (trial Proof) » de Terry Frost et « Coccinelle » de Sonia Delaunay.
Mais comment les peuples de ces deux nations se considèrent-ils aujourd’hui ? Les Britanniques ont une perception claire des Français – une vision acceptée de leur culture, de leurs habitudes, de leurs bons et de leurs mauvais points et ainsi de suite – d’une manière qui n’existe pour aucune autre nation européenne. Certes les Britanniques ont une vision des Allemands, des Italiens, des Espagnols et des autres mais elle est en grande partie simpliste et unidimensionnelle (les Allemands n’ont aucun sens de l’humour, les Italiens sont désorganisés…) et ne ressemble peu ou pas à la réalité. Bien sûr il en va peut-être de même pour les Français dans le sens où leurs perceptions, bien que détaillées et nuancées, peuvent aussi être loin de la vérité !
J’en termine par un ou deux commentaires dont je m’excuse d’avance. Alors que les Britanniques (et je pense au grand public) voient souvent les Français comme des rivaux dans un sens simpliste, ils préfèrent passer leurs vacances en France plutôt que partout ailleurs sur terre ; ils plaisanteront sur les escargots et les cuisses de grenouilles, mais ils se feront un plaisir de raconter à leurs amis et voisins le merveilleux repas qu’ils ont eu « dans ce restaurant à Paris » ; et tandis qu’ils se plaindront de ce que les Français ne veulent pas parler anglais, ils admettront qu’il est déraisonnable d’attendre que tout le monde parle anglais !
Bref, si la France avait des problèmes les Britanniques viendraient aider et les Britanniques aiment à penser que la même chose se produirait de leur côté. Nos deux pays sont comme les membres un peu éloignés d’une même famille qui se disputent souvent mais sont toujours, en bien ou en mal, liés l’un à l’autre. ADN, guerres, histoires partagées , tout cela nous lie. D’autant plus fortement dans les périodes d’incertitude comme celle que nous vivons.
Philip Evans