« Le pouvoir transformateur de Cluny » – témoignage – : de Porto à bruxelles en passant par Cluny
De Porto à Bruxelles où elle participe aux négociations sur le changement climatique pour l’Agence Portugaise de l’Environnement, en passant par le Collège européen de Cluny, l’itinéraire passionnant de Joana Vieira da Silva.
Début juillet 2002, j’ai pris un bus de Porto, Portugal, vers Lyon – destination finale : la Convention des Jeunes Citoyens Européens de Cluny (1). Je ne savais pas à ce moment à quel point ce passage par Cluny laisserait une marque indélébile dans ma vie. Même si Inês m’avait prévenue. Elle avait participé l’année d’avant et en parlait encore avec une passion contagieuse. En 2001, ils avaient travaillé sur un projet de Constitution Européenne. En 2002, nous, une trentaine de jeunes venant de tous les points cardinaux de
l’Europe, travaillerions à une révision de cette Constitution, en même temps que la Convention sur l’Avenir de l’Europe, sous la Présidence de Giscard D’Estaing développait un projet de Constitution Européenne. Cluny, ça sentait le Futur.
Moi, j’étais plutôt appréhensive à l’idée de passer une semaine à discuter la révision d’une Constitution. Et de passer la semaine suivante à développer un projet artistique. Vous savez – je n’étais (et je ne suis toujours pas) ni juriste ni artiste. Détruire des barrières – un objectif explicite et en même temps une conséquence incontournable du passage par le CCIC-Collège Européen de Cluny.
Participer à un projet citoyen de ce genre c’est le plus proche d’une métamorphose personnelle, sociale, politique et culturelle. Je le confirmerai dix ans plus tard en travaillant à la Commission
Européenne pour le Programme Europe pour les Citoyens – qui finance des projets œuvrant au travail de mémoire, à la connaissance réciproque des citoyens européens et à leur rapprochement de l’Union européenne. Au bout d’une semaine nous avions adopté la révision de la Constitution Européenne de Cluny, guidés par la vision, l’expertise, et la poésie de Jean-Luc, Marc, Andreas et Serge. Finalement j’avais compris qu’il ne fallait pas être juriste pour pouvoir contribuer à un tel fait. Ce qu’il faut pour faciliter la participation et l’engagement citoyen c’est du temps, des outils d’information et de facilitation, de médiation et négociation. L’échange d’idées, parfois opposées, dans un contexte structuré qui donne et encourage la recherche d’information solide, la rencontre des autres, dans un contexte à la fois cadré et informel, flexible mais avec des règles claires, le partage d’un vrai exercice de citoyenneté et démocratie – Cluny transforme.
Le défi de la deuxième semaine était d’exprimer notre idée de l’Europe d’une façon artistique. Le privilège était d’autant plus grand que nous avons pu choisir parmi différentes options d’ateliers :
vidéo, théâtre, musique, sculpture sur bois. J’ai choisi sculpture sur bois et je n’oublierai jamais l’expérience même si je l’ai regretté pendant plusieurs jours. Alan Mantle, sculpteur de bois renommé installé dans la région, nous a guidé dans le processus technique et artistique de façon exemplaire. Les ateliers de l’ENSAM nous donnaient toutes les conditions et outils de travail. Alan nous a amené des souches de chêne vieilles de centaines d’années, extraites des marais gallois – sa matière première. Je regardais ces souches centenaires fascinée et ne trouvait pas moyen de les rendre plus belles. Les jours passaient, et l’inspiration ne venait pas. Je me tournais vers Alan à la recherche d’une réponse et il me disait calmement et avec un sourire énigmatique – regarde le bois – tu y trouveras ton idée. Je regardais Francesco et Caterina, qui avançaient joyeusement dans leur travail – clairement le bois leur avait déjà parlé. Quand finalement j’ai trouvé mon idée, je me suis mise au travail et le talent d’Alan n’a cessé de me surprendre. Mon idée impliquait de créer un globe, une planète – pour moi, tâche bien plus difficile que l’invention de la roue. Alan a pris sa tronçonneuse, une longue racine en bois clair et devant mes yeux grands ouverts a découpé un globe en quelques minutes. Avec sa tronçonneuse – Cluny déchire.
Le feu d’artifice du 14 juillet éclatait encore dans nos yeux quand à la fin de la semaine les portes de l’Abbaye se sont ouvertes au public de la région pour que nous puissions montrer toutes nos œuvres, toutes nos idées d’Europe, un partage sincère, critique et enthousiaste – Cluny invite.
Après deux semaines, aucun de nous n’était plus le même. Ce que nous avions vécu était trop fort, trop intense, trop productif. C’est le pouvoir de l’engagement citoyen, de la participation démocratique qui développe l’intelligence collective et qui amène des solutions aux grands défis globales et locales auxquels nos sociétés font face de nos jours et exigeant des transformations profondes – c’est bien le cas du réchauffement climatique. La Science nous dit que nous sommes très proches d’un point de non-retour avec de graves conséquences et, dans certains cas, irréversibles dans de nombreuses régions de notre planète. L’Accord de Paris a fait un pas de géant en établissant une contribution de tous les pays à la lutte mondiale contre le changement climatique. L’Union Européenne s’est engagée à respecter ses engagements et c’est ainsi qu’en avril 2021, avec la contribution active de la Présidence Portugaise du Conseil de L’UE, l’accord pour la première Loi Européenne sur le Climat a pu être trouvé. Afin d’atteindre les objectifs ambitieux de cette dernière et parvenir d’ici 2050 à une UE neutre pour le climat et augmenter l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, il sera fondamental d’opérer une transformation profonde du mode de fonctionnement de nos sociétés – il faudra changer notre façon de produire, de bouger, de manger, de protéger la biodiversité et les écosystèmes. C’est seulement avec le pouvoir transformateur de l’engagement citoyen que l’on y parviendra – et ça c’est aussi le pouvoir de Cluny.
Joana Vieira da Silva
Chargée des négociations sur le changement climatique, Agence Portugaise pour l’Environnement.
Participante à la Convention des Jeunes Citoyens Européens du CCIC en 2002.
Cette année le séminaire d’été se déroulera – en ligne – les 2 et 3 juillet sur le thème :
« Quel changement pour l’Europe ? Transition écologique et action citoyenne »
Inscriptions et renseignements :
CCIC-Collège Européen de Cluny – Mireille Burtin-Auboeuf, coordinatrice :
contact@collegecluny.eu / +33(0)3 85 59 53 60 / www.collegecluny.eu
(1) La «Convention des Jeunes Citoyens Européens de Cluny» a été baptisée en 2015 à la création du Collège Européen de Cluny, «Séminaire d’été du Collège Européen de Cluny»