Les Portugais à Cluny, témoignages d’émigrés
Si Ulysse a quitté son « chez lui » pour y revenir, ce ne fut pas le cas de tous les Portugais qui ont suivi jusqu’à Cluny le chemin de l’exil. Nous avons rencontré Ermelinda Ferreira de Sousa et sa cousine Fatima Ribeiro. Au travers de leur histoire, elles donnent un aperçu de la migration portugaise d’il y a 46 ans, avec ses épreuves, ses réussites, le courage et le travail qu’il a fallu et son apport à Cluny et aux Clunisois.
Les parents d’Ermelinda avaient émigré en Angola en 1968 ; ils sont « rentrés au pays » après la révolution des Œillets (1974). En pleine crise économique, en 1975, ils émigrent à Cluny avec un de leur fils, laissant leurs six autres enfants, dont Ermelinda, chez leurs grands-parents au Portugal. Arrivant en France les parents d’Ermelinda ne parlaient pas le français et n’avaient pas de titre de séjour valable. Ils seront aidés par la communauté de Taizé qui procurera à la mère d’Ermelinda un travail pendant 7 mois. Ses parents installés rue du Merle peuvent en 1993 faire venir Ermelinda qui arrive avec deux enfants de 10 et 11 ans, enceinte de son troisième. Le quatrième naîtra plus tard en 1994 en France. En effet le Portugal, depuis le 1 janvier 1986 fait partie de l’UE et l’intégration est plus facile. Cependant nous ne sommes pas encore dans l’espace Schengen instaurant la libre circulation.

Fatima Ribeiro et Ermelinda Ferreira de Sousa

Armoiries de la ville de Paços de Ferreira
Comme beaucoup de Portugais à Cluny, ils viennent de Paços de Ferreira, une ville de 60.000 habitants du district de Porto, à 33 km de Porto mais à 1670 km de Cluny ! Fort des traditions vinicoles, excellents maçons et menuisiers, les premiers migrants de Paços De Ferreira trouveront du travail dans les vignes, la construction et les ménages.
Avec la création en 1995, de l’Espace Schengen instaurant la libre circulation des personnes, les retours au pays occasionnels ou définitifs deviennent faciles et les allers-retours plus ou moins longs seront courants. A cette occasion ils vivent ce qu’Ermelinda appelle la situation des « AVEC », c’est-à-dire, le tiraillement entre deux cultures, le pays de naissance et de la langue maternelle et le pays d’adoption – de cœur – dira Ermelinda où on a fait sa vie, AVEC ses habitudes, ses modes d’être. Alors lorsqu’ils reviennent à Paços de Ferreira, leurs amis s’écrient : ils arrivent les français, « LES AVEC ! ».
Paços de Ferreira est fière de son équipe de football, le FC Paços Ferreira, classée en première Ligue. Le club de football des Portugais à Cluny se bat pour rester à la hauteur !
Fatima, fille d’un cousin germain de sa mère est née en France. Sa mère et son père arrivent du Portugal en 1980. La mère de Fatima ne parle pas français en arrivant et prend des cours de langue dans une école ouverte rue du Merle par le Foyer des Portugais avec l’aide du Consulat du Portugal à Lyon pour accueillir et former les migrants Portugais arrivant à Cluny.
Le Foyer des Portugais réside dans l’ancienne gare de Cluny et permet surtout aux « anciens » de se retrouver pour jouer aux cartes en se racontant leurs souvenirs autour du verre de l’amitié.

Logo du Football Club
de Paços de Ferreira
Fatima quoique née en France perpétue les traditions portugaises, langue, accueil, ouverture internationale : elle épouse un Angolais accueilli chez Ermelinda pour des études au Lycée La Prat’s. Formé aux métiers de la restauration, ce dernier est cuisinier au restaurant universitaire de l’Ensam.
Nous échangeons sur la crise économique violente qu’a subi le Portugal dans les années 2010/2015 : nombreux sont les Portugais qui ont alors repris le chemin de l’émigration en France, accompagnés par la solidarité familiale et les traditions d’accueil. Mais ensuite, aidés par la libre circulation et le droit au travail, la plupart sont repartis chez eux.
Nous revient, s’agissant des migrants actuels, le constat que faisait Mme Catherine Wenden de Withold, spécialiste des questions de migrations lors d’une conférence à Cluny Chemins d’Europe : si la France et l’Europe facilitaient l’entrée et le travail, la plupart des migrants retourneraient chez eux ou du moins feraient des allers – retours au lieu de s’accrocher à un titre de séjour acquis de haute lutte et souvent au péril de leur vie !
Cluny est une cité ouverte, forte de son accueil déjà mentionné dans la Charte de fondation de l’abbaye de Cluny en 910 ! Dans notre Lettre du mois de mars 2021 nous avons montré comment le Collège Européen accueille les étudiants de nombreux pays d’Europe, mais aussi les Foyers Ruraux qui ont des programmes d’échanges, la Maison Rurale et Familiale de Mazille avec ses programmes Erasmus etc. De nombreux migrants – Albanais, Subsahariens, Russes, Ukrainiens, Syriens, Irakiens – sont aujourd’hui accompagnés par Cluny Solidarité, le Secours catholique et le Secours Populaire, la Communauté de Taizé, les Restos du Cœur.
Ces échanges et rencontres sont des ressources formidables pour nos communautés et notre vivre ensemble.
Philippe Mayaud