Sausage Wars (les guerres de la saucisse) Ou, pourquoi l’Irlande et le Brexit ne font pas bon ménage !
Ceux qui vivent en Europe continentale – surtout les Français peut-être – considèrent les conséquences du vote sur le Brexit comme un cauchemar sans fin. À l’heure actuelle, le problème de
la gestion de l’Irlande du Nord est la partie la plus difficile et, à certains égards, la plus grave de ce cauchemar.
Beaucoup a été écrit dans la presse britannique (et dans la presse étrangère bien sûr) ces dernières semaines et ces derniers mois sur tout cela et pourtant le lecteur occasionnel, sans
une connaissance détaillée des événements récents ainsi qu’une connaissance raisonnable de la tragédie de l’histoire irlandaise, n’y comprend pas grand-chose.
Essayons d’y voir clair, même si certains pourraient soutenir que mon interprétation est orientée par un point de vue pro-irlandais, « pro-Remain » et centré à gauche !
L’Irlande a été envahie pour la première fois par les Anglo-Normands en 1169. Elle passera progressivement sous contrôle anglais (on utilisera plus tard le terme britannique) jusqu’en 1801 lorsqu’elle fera partie de la Grande-Bretagne. En 1921, la majeure partie de l’Irlande a obtenu
son indépendance de la Grande-Bretagne, mais une partie du Nord, à prédominance protestante, s’est retirée de ce mouvement vers l’indépendance ; il s’agit des « Six comtés » qui restèrent britanniques. Aujourd’hui donc deux pays se partagent l’île d’Irlande : la République d’Irlande (membre de l’UE) et l’Irlande du Nord, faisant partie du Royaume-Uni (et donc non membre de l’UE). C’est l’origine de la guéguerre au sujet de la saucisse et du poisson.
Lorsque le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, après la mise en oeuvre légale du vote sur le Brexit, la frontière terrestre entre les deux pays en Irlande est également – clairement – [..] devenue une frontière douanière. Mais, en raison de l’histoire difficile entre ces deux parties de l’Irlande, les contrôles douaniers aux frontières, impliquant une frontière formelle, ont été considérés comme inacceptables.

Entre la G-B et l’Irlande du nord, la frontière dans la mer.
Source : le Monde
En effet, cela aurait entraîné des postes de douane officiels, bâtiments administratifs etc., donc des symboles de la partition de l’île qui auraient été des cibles faciles pour les républicains militants. Les politiciens des deux côtés de la frontière se sont inquiétés d’un possible retour des violences observées lors de ce qu’on a appelé les « Troubles », de la fin des années 1960 au milieu des années 1990. De ce fait, entre l’Irlande du Nord qui ne fait pas partie du marché unique de l’UE et la République d’Irlande qui en fait partie, il n’y aura pas de contrôles douaniers puisque la frontière est … invisible, donc inexistante ! Par conséquent, puisqu’il faut désormais une frontière douanière entre l’UE et la Grande Bretagne, on l’a située de facto en mer d’Irlande, c’est-à-dire entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni ! Les contrôles s’effectuant dans les ports, probablement par les agents britanniques et avec des observateurs de l’UE… ou quelque chose de similaire.
C’est là que les saucisses et les poissons pointent le bout de leur nez !
Le gouvernement conservateur a toujours minimisé cette réalité évidente et Boris Johnson a éludé la question. On l’a même surpris, filmé en privé, niant l’existence de cette frontière de facto et la nécessité de contrôles. Or, il fallait bien contrôler les denrées périssables, comme les fameuses
saucisses et les poissons alors que le temps passé à la frontière est essentiel, ce qui a conduit à l’impasse actuelle. Le point de vue du gouvernement britannique est que l’UE interprète l’accord
de manière trop stricte, tandis que pour l’UE, le Royaume-Uni renie un accord qu’il a signé. Le gouvernement britannique s’est concentré sur les saucisses et le poisson parce qu’ils sont considérés comme faisant partie de la culture alimentaire britannique (ce qui fait sourire les Français). Les « Brits » doivent avoir leurs « bangers and mash » (saucisses et purée de pommes de terre) et leurs « fish n’ chips » (fish and chips). Ainsi, de l’avis du Royaume-Uni, ces denrées périssables devraient circuler beaucoup plus librement qu’à l’heure actuelle entre les deux parties du Royaume-Uni séparées par la mer d’Irlande, ce qui pour l’UE entraîne la suppression d’une indispensable frontière douanière. On a beaucoup discuté pour trouver des systèmes de contrôle simples mutuellement acceptables, mais… !
A mon avis, qui est celui d’un franco-britannique, le gouvernement britannique savait que ce débat était probable sinon inévitable lorsqu’il a signé l’accord initial ; la signature était simplement un moyen de faire avancer l’accord global formalisant le Brexit. Après tout, pourquoi s’inquiéter d’un problème qui ne se posera que demain ? Hélas… demain est arrivé et des solutions sont nécessaires. Le gouvernement britannique a même récemment menacé d’invoquer l’article 16 de l’accord, ce qui entraînerait une suspension unilatérale de l’ensemble de l’accord.
Pour conclure : les Britanniques sont-ils de mauvaise foi ? Oui selon moi. Est-ce la conséquence de la présentation du Brexit à un public irréfléchi par les partisans du « vote Leave » ? Oui. S’agit-il d’un exemple du manque de confiance du Premier ministre britannique ? Encore oui.
Résultat de tout ça dans ma façon de penser ? Je suis très content d’être à présent Français !
Vive la République ! Vive la France !
Philip EVANS