Témoignages
Fils d’immigrés

Je suis né de parents italiens très modestes. Papa et maman étaient enfants de familles assez nombreuses (dix et onze enfants). La vie était difficile. Brève scolarité, travail aux champs et tâches à la maison. Avant de se connaître, ils ont dû quitter le giron familial respectif pour n’être plus à charge et subvenir aux besoins de la tribu. Après tant d’autres compatriotes dispersés sur la planète, ils ont quitté la ‘Alta Valseriana’ (province de Bergamo) pour atterrir à proximité de Dijon comme manoeuvre pour lui, dans le Loiret, à Gien, comme ‘assistante’ d’un dentiste pour elle. Mariés en
Italie, c’est à proximité de Dijon qu’ils ont atterri. C’est là que sont nés leurs trois enfants.
Travail et logement n’étaient pas faciles à trouver. Etre exploité était courant, mal logé plus encore. Pour les enfants que nous étions et bien que nés en France, ‘enfants de l’ennemi’, nous valut quelques ‘ritals’ ou ‘macaronis’, avec ‘sales’ devant, ponctués par quelques coups parfois. L’affection parentale et la solidarité dans la ‘colonie’ italienne à proximité ont permis de digérer ces désagréments. Les ‘ritals’ devinrent français… sans oublier l’Italie, ni le dialecte appris chez les grands-parents où nous avons été accueillis au décès de papa en 1944. Entendre ou parler ce dialecte – le bergamasco – me fait frissonner et me transporte encore aujourd’hui !
Serge Savoldelli,
Co-organisateur pendant une dizaine d’années des Universités Européennes d’Eté (UEE) qui se sont tenues à l’ENSAM de Cluny au début de ce millénaire. Modeste participation, avec la jeunesse, à la construction de l’Union Européenne !
La cuisine italienne à Cluny ou l’Europe à table
En 2015 Roberto et Alessandra Arino ont quitté Rome pour ouvrir à Cluny un restaurant qui offre aux gourmands – gourmets une gastronomie issue entre autres du Piémont et de l’Ombrie. Ils vivaient à Rome, ils connaissaient Cluny depuis l’école primaire… Cette installation à Cluny résulte d’une imprégnation de longue date : dès l’école primaire, les petits italiens se familiarisent avec l’histoire de Cluny, tout comme nous les français, à l’histoire de Rome. À l’âge adulte, la visite de Cluny s’inscrit naturellement comme une étape sur la route des vacances passées dans une France déjà proche : le Piémont n’est-il pas le voisin de palier des Savoie ? À Rome, le fils est scolarisé au lycée français avant de rejoindre Lyon pour y poursuivre ses études. Quand la crise des « subprimes » venue des États-Unis atteint l’Europe en 2008, nos deux comptables de métier s’interrogent sur leur devenir. Très secoués et blessés par les dessous de cette crise, fatigués par une vie romaine encombrée et saturée de pollution, ils décident de changer radicalement de vie. Après sept ans de réflexion, bien que ne connaissant personne à Cluny, ils s’y installent, convaincus de partager un patrimoine commun enraciné dans l’histoire, notamment à travers la cuisine. Roberto a plaisir à rappeler que la grande Catherine de Médicis a apporté à la France les omelettes et les crêpes. Petit à petit, les attentes locales, fixées au début sur les pizzas à emporter et les pâtes, se sont enrichies des saveurs de plats plus élaborés comme le vitello tonnato… aux racines françaises (voir plus bas) !
À travers le goût, c’est un partage européen subtil qui se tisse entre les visiteurs de tous pays qui viennent visiter Cluny. Venus s’attabler comme clients, ils sont accueillis en convives, et ressortent parfois amis. Roberto et Alessandra résument ainsi leur expérience culinaire : le plaisir gustatif commence par la bouche, monte au cerveau …et reste dans le coeur !
Le « Vitello tonnato »L’un des plats les plus célèbres de la cuisine italienne, et en particulier du Piémont, est certainement le Vitello Tonnato. Les origines de ce plat remontent au XVIIIe dans la région de Cuneo. L’habitude d’aromatiser la viande avec des condiments forts était déjà répandue à l’époque. Dans le Piémont, contrairement aux idées reçues, les anchois salés –l’ingrédient principal de la sauce au thon–, étaient très appréciés des agriculteurs depuis le XVIIe siècle. En effet, les possessions de la famille de Savoie sur les côtes de France fournissent d’abord le sel, produit sur lequel des taxes très élevées étaient payées ; aussi les gros barils transportés sur des charrettes étaient-ils remplis sur leur dessus d’anchois salés, sur lesquels des taxes plus légères étaient payées. Du coup, le Piémont s’est retrouvé obligé d’utiliser un nouveau produit, les anchois, grâce à la Via del Sale. Pas trace de thon donc dans le vitello tonnato : le «Dictionnaire de cuisine et d’économie ménagère» de M. Burnet de 1836 lui donne un titre sans équivoque : «Manière de donner au veau l’apparence et le goût du thon mariné». L’absence de thon dans la recette est également attestée tout au long du XIXe siècle jusqu’à ce qu’un certain Pellegrino Artusi l’officialise dans son traité de cuisine en 1891.
Aujourd’hui, il existe de nombreuses recettes traditionnelles à base d’anchois. Au début du XVIIIe siècle, nous trouvons la première preuve de vitel tonnè. Souvent, cependant, le thon manque dans la recette comme ingrédient (un autre ingrédient jusqu’alors introuvable dans le Piémont). On utilisait probablement le terme tonné dans le sens français de tanné ou «sali» avec l’utilisation d’une sauce. Certains avancent plutôt que le terme dérive d’un écrit d’un cuisinier de la cour de Savoie, probablement Tannè, et donc de veau à la façon Tanné. Des traces de la recette se trouvent également dans le «Dictionnaire de cuisine et d’économie ménagère» de M. Burnet de 1836 avec la recette au titre sans équivoque «Manière de donner au veau l’apparence et le goût du thon mariné»
Marie-Aude Poisson
Maison de l’Europe
Erasmus en Italie : faire vivre l’Europe en unissant les peuples

Il y a de cela environ 500 ans, Erasme, Hollandais, partait faire ses études à Turin ; voyager à travers l’Europe ; et finir sa vie en Suisse. Cet amoureux de tous les peuples, avait pour devise « nulli concedo » ; soit « je ne fais de concessions à personne ». Voilà qui peut sembler orgueilleux et fracturant. De mon côté, je trouve que l’Union Européenne peut s’en inspirer ; avec sa volonté d’origine qui était d’oeuvrer pour la paix et la prospérité, sans concessions à ce propos. Erasme disait d’ailleurs que « la mission de l’Européen est de toujours insister sur ce qui lie et ce qui unit les peuples » (Biographie d’Erasme par Stefan Zweig).
Des centaines d’années après Erasme, me voilà sur ses traces, allant faire mes études en Italie. Certes, pas Turin (qui n’était à l’époque d’ailleurs pas italienne) mais Bologne, ville de la première université d’Europe. Encore, toujours l’Europe. Cette fois, elle prend place dans une comparaison ; une comparaison liant toutes les universités d’Europe entre elles.
C’est pour cette liaison européenne que j’ai décidé de partir, et de « faire un Erasmus » – nom acronyme du Programme d’Action Européenne pour la Mobilité des Etudiants, et hommage à notre cher Erasme. En effet, cela me permet de respecter mon « devoir européen », qui est de se connaître les uns les autres afin de s’accepter, se comprendre, et pouvoir travailler ensemble. Car voilà ce à quoi rime l’Europe, dans mon esprit : agir pour la prospérité économique, sociale, pacifique et écologique ensemble. Ces objectifs communs lient et unissent les peuples du continent européen.
L’Erasmus, en apportant une expérience à l’étranger et une mise en relation européenne et transnationale, permet d’atteindre ces objectifs à travers une solidarité européenne renouvelée. Une solidarité des peuples, une union dans la diversité, passant par les jeunes générations.
Cette année de mobilité dans un autre pays m’aura bien changée. C’est enrichie par la rencontre de personnes issues d’Europe et d’ailleurs que je reviendrai en France ; c’est ouverte à d’autres façons de voir les choses que je reprendrai mes études de sciences politiques ; c’est sensibilisée à d’autres enjeux que je m’engagerai dans la vie politique française et européenne. L’Italie, pour cela, est le pays idéal, avec sa vision européenne particulière et son assujettissement à certains aléas économiques, migratoires ou sociaux, la mettant au premier plan de l’Union Européenne. Cela nous apporte prises de conscience et questionnements, partagés lors de nos soirées entre étudiants : que faire pour promouvoir une écologie de fait dans l’UE, au moment où nous constatons tant de divergences entre ses Etats membres ? quid des inégalités entre étudiants européens et non- européens ? Comment conserver une unité européenne dans un temps de pandémie où l’Europe cherche sa place entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie ?
Au-delà de ceci, l’Italie est intéressante et attractive par ses héritages culturels de tous temps, sa langue que j’adore pratiquer ; ses citoyens particulièrement gentils, et sa gastronomie indéniablement exquise. Tout ceci, m’introduisant à une nouvelle culture, dont je ne me lasse plus. Sa place centrale dans la géographie européenne me permet de continuer ce travail de liaison européenne, à travers les nombreux voyages que j’effectue dans le pays mais aussi dans les Etats frontaliers.
Cet Erasmus me fait indéniablement me sentir européenne, liée à tous ces autres étudiants parcourant l’Europe, à l’image de mes amis français en Allemagne ; Suède ; Espagne… Mais il me fait également mesurer la chance que j’ai de pouvoir partir, et d’être soutenue dans cette aventure. En effet, l’Union Européenne, à travers les financements qu’elle offre, nous permet de nous lancer dans ce voyage un peu hors du temps qu’est l’Erasmus. Et, finalement, de faire vivre l’Europe.
Elizabeth Bellier
Etudiante