Veduta, une exposition à Cluny
En 2021, le Centre des Monuments Nationaux présentait au farinier de l’abbaye de Cluny une exposition de photographies prises en Italie, du nord au sud. Elle était intitulée Veduta. Qu’est-ce à dire ? Tout un monde de peinture !
Veduta – vedute au pluriel- est un terme italien signifiant ce qui est vu, un panorama, souvent le plus large possible mais aussi comment on le voit et s’apparente alors à « une fenêtre sur », à un point de vue. Ce terme apparaît dans l’histoire de l’Art au 18e siècle chez des peintres italiens et désigne plus particulièrement des vues urbaines.
L’origine en remonte au siècle précédent et dans un autre pays d’Europe, la Hollande. L’art du paysage parfois agrémenté de scènes mythologiques (comme chez le flamand Paul Bril actif à Rome de 1582 à sa mort en 1628) est devenu plus vériste chez les artistes hollandais ainsi chez Vermeer et sa célèbre Vue de Delft. Un pays au relief plat, associé à un grand ciel très ouvert, a développé l’intérêt des artistes pour la peinture de paysage avec une spécialité de vues détaillées et précises de villes reconnaissables, flattant la fierté des commerçants de la cité. Ensuite au 18e siècle c’est à Venise que cette thématique de la Veduta prendra toute sa place.

Vue de Delft, 1659-60.
Huile sur toile, 96,5cm×115 cm.
La Haye, Mauritshuis.

Régates sur le Grand Canal
Huile sur toile, 128cmx183cm
Londres National Gallery.
Dans ces périodes 16e-19e siècles, nombreux sont les artistes qui ont pratiqué le voyage comme source d’inspiration et d’apprentissage. Leur destination privilégiée a été longtemps l’Italie, son riche passé artistique (Antiquité et Renaissance), sa lumière, avant de poursuivre vers les pays de la Méditerranée. Comme exemples, Dürer venait de Nuremberg, Rubens venait lui d’Anvers, Nicolas Poussin de Paris et Vélasquez de Madrid. Léonard, l’italien, lui a fini sa vie d’artiste en France. Dès le 18e, la création des Académies à l’initiative de la France a favorisé la formation des artistes en Italie. Le goût pour les souvenirs de voyages induits par la pratique du Grand Tour permet le développement des Vedute.
Ce Grand tour écrit de la même façon en anglais, appelé aussi, dans les pays germaniques, Junkerfahrt ou Cavaliertour est un long voyage éducatif en Europe effectué par les jeunes gens des plus hautes classes de la société européenne, britannique, allemande, mais aussi française, néerlandaise, polonaise, scandinave, plus tardivement russe à partir des années 1760. La pratique, qui émerge vers le milieu du 16e siècle, culmine au 18e. Son objectif est de :
• découvrir d’autres pays, moeurs, langues et savoirs
• nouer des liens utiles amicaux, sociaux, commerciaux, politiques
• aller voir ce qui devait être vu et se forger une culture commune.
Peut-on dire que ce sont les ancêtres des jeunes voyageurs Erasmus ou les vidéastes de UP for Europe présents dans cette Lettre N°10 ? Certes d’origines et de milieux plus démocratiques !
Les artistes les plus connus pratiquant la veduta sont Antonio Canal dit Canaletto (1697-1768) et Francesco Guardi (1712-1793). Pour plaire à leurs acheteurs étrangers, ils cultivaient les détails d’architecture, les activités pittoresques et le quotidien de la ville dans une lumière aérienne.
Peintre paysagiste et graveur allemand, formé à l’Académie de Berlin ainsi qu’auprès d’artistes hollandais, Jacob Philip Hackert s’installe en Italie et, à partir de 1782, travaille à la cour de Naples.

Vue des champs phlégréens près de Naples

Thomas Jorion, Salita, Piémont, 2017
Courtesy Galerie Esther Woerdehoff
Le tableau Vue des champs phlégréens près de Naples représente de façon réaliste et minutieuse la région volcanique située à l’ouest de la ville. Avec ses deux frères, graveurs, il éditera de nombreuses vedute qui feront connaître cette Italie du sud. L’oeuvre de grand format (121cmx170cm) est dans les collections du musée de Mâcon.
L’année passée, le Centre des Monuments Nationaux (CMN) présentait au farinier de l’abbaye de Cluny une exposition du photographe Thomas Jorion, Veduta. L’artiste a sillonné l’Italie du nord au sud et propose des images silencieuses qui convient le visiteur à un voyage, un Grand Tour, aux allures intemporelles.
Voici une Vue qui me fait penser à des intérieurs et passages d’immeubles de villes de Bourgogne du Sud comme Mâcon, Cluny, Tournus.
Nane Tissot
Maison de l’Europe
Merci à Virginie Goutayer du CMN, à Jehan de Bujadoux de la Galerie Esther Woerdehoff et à l’artiste Thomas Jorion.