Lettre n° 18- Courrier du mois n°3-

Doit-on défendre nos traditions ?

© Louis Darpentigny
Concours d’éloquence

Les traditions relient les générations, nourrissent l’identité et la solidarité, mais doivent évoluer pour rester justes et vivantes dans le monde moderne.

En tant que Gadz’Arts, vous parler de traditions sans être biaisé est, pour moi, aussi compliqué que de juger objectivement, si Zinédine Zidane méritait son carton rouge en 2006. Mais.. Je peux m’y atteler.

Ce soir, je ne m’attarderai pas à un discours commercial qui vous vend les traditions. À la place, j’enfile ma casquette de capitaine de bord, et je vous invite à embarquer avec moi pour une aventure un peu spéciale. Nous allons naviguer ensemble à travers les océans du temps et des cultures, et explorer différentes traditions sur le globe. Certaines résisteront aux vagues du changement, d’autres se réinventeront sous l’effet des marées modernes.
Nous larguons les amarres et mettons cap au sud, traversant la Méditerranée pour arriver chez moi à notre première destination, en Afrique du Nord. Salam ou alaykom.

Mon père nous récupère au port d’Alger, babouches au pied. Nous sommes dans une rue animée en bas de chez moi, et croisons des habitants vêtus de djellabas. La djellaba est un héritage, un symbole de liberté et de fraternité, et surtout, une marque d’appartenance à une communauté. Ces hommes et ces femmes, marchant fièrement sous le soleil, nous rappellent que chaque pli, chaque couture porte l’histoire des peuples qui ont traversé ces terres, des ruelles de Casablanca aux marchés de Tunis. Nous levons l’ancre et mettons cap à l’est. Ohayo Gozaimasu, direction le Japon, un archipel où tradition et modernité coexistent dans une harmonie fascinante. Nous voici à Kyoto, au pays du Soleil levant. À notre arrivée, l’air frais du matin est empreint d’une quiétude presque palpable. La cérémonie du thé nous attend, chaque geste, du froissement du kimono à la lente préparation de la boisson est impressionnant. Tout est une invitation à la sérénité, à la contemplation.

Au détour d’une rue, nous arrivons à un tournoi de sumo. Les lutteurs, massifs et imposants, se préparent pour leur combat. Je ne peux m’empêcher de « m’enjailler » face à un tel spectacle, on se croirait dans les meilleurs mangas qui ont bercé mon enfance. Pour finir, nous nous arrêtons quelques instants sous un cerisier en fleurs. Nous observons, émerveillés, le paysage autour de nous. Ce tableau est une belle leçon de vie. Tels des pétales de Sakura qui tombent pour laisser place aux nouveaux, certaines traditions doivent céder leur place pour permettre une évolution.

Nous continuons notre voyage, bom dia ! Direction le Brésil, pays du football. Nous arrivons en plein cœur du traditionnel Carnaval de Rio. Il s’agit d’un mélange de cultures, d’une célébration de la musique, de la danse, mais aussi de racines africaines. Les danseurs et les danseuses aux costumes flamboyants nous éblouissent de leurs mouvements et nous donnent envie de les rejoindre.

Nous rencontrons Samantha, une danseuse afro-brésilienne qui, chaque année, se joint à un groupe de samba représentant l’histoire des esclaves noirs. Ce n’est pas qu’une simple danse. Cette tradition est un acte de résistance, un moyen pour elle et sa communauté de revendiquer leur place dans la société brésilienne. À travers chaque battement de tambour, chaque mouvement de hanche, elle affirme : « Nous ne sommes pas oubliés. » Nous voilà de retour en France, pays du fromage, du vin, de la baguette, de la révolution. De Dunkerque à Perpignan, du pain au chocolat à la chocolatine, chaque région a ses traditions, mais toutes partagent un même amour pour l’art de vivre.

Nous arrivons à Cluny, célèbre pour son abbaye, surnommée « la deuxième Rome », dont l’histoire est si riche qu’une soirée ne suffirait pas à en faire le tour. En visitant l’intérieur, nous croisons mes camarades de Promotion, vêtus d’une blouse grise décorée. Est-ce une cape, demandez-vous ? « C’est une biaude, un symbole de notre École », explique l’un d’entre eux. Ils portent des équerres, parlent un dialecte particulier, ils sont futurs ingénieurs et se font appeler les Gadz’Arts. Ces symboles nous paraissent étranges, mais quel message renvoient-ils ? Ces traditions, qui prônent la Fraternité, forgent un esprit de solidarité avec le monde qui les entoure. Elles tissent des liens indéfectibles à travers les générations, et font de leur passage à l’école une expérience inoubliable.

Conclusion…
Chers amis, cette aventure touche à sa fin, nous sommes au théâtre de Cluny. Tirons une conclusion de ces quelques minutes de voyage.

Il est important de reconnaître que toutes les traditions ne sont pas toujours bénéfiques. Certaines sont rétrogrades, comme celles qui maintiennent des sociétés patriarcales ou qui imposent des pressions sociales excessives. Il nous appartient de réinventer les formes, d’adapter ces coutumes pour qu’elles correspondent aux enjeux sociétaux actuels de liberté, d’égalité et de respect.

« Une tradition, ce n’est pas un attachement à la lettre, c’est l’attachement à une idée qui vit », disait Léon Blum. Toutes ces traditions partagent un fond commun, c’est ce fond qu’il faut défendre, en quelques mots : être heureux et se sentir à sa place.

Merouane Redjdal