Lettre n° 18- Courrier du mois n°3-

L’Europe : uniformisation des des cultures ou création d’une autre ?

© Louis Darpentigny
Concours d’éloquence

L’Europe n’uniformise pas les cultures : elle les fait dialoguer, enrichissant une identité commune fondée sur l’héritage, la diversité et l’altérité.

« Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée ».
Quelle lettre splendide de Rimbaud ! L’ipséité dont il nous fait part est sublimée par la passion du mot.

Parce que l’ardeur d’une langue ne demeure pas dans sa logique stricte et immuable, elle se dérobe dans son inconstance même ; dans l’étroitesse imperceptible des mots ; dans chaque détail qui s’évade à notre pensée ; dans ses règles les plus sporadiques et à l’abord absurde. Cette flamme qui naît des plus indicibles soupirs, s’attise dès que l’encre s’élève au-delà du vers.

La langue est animée. Son âme est mémoire de notre culture. Et « la mémoire est l’avenir du passé » comme l’exprime brillamment Paul Valéry. Mais cette remembrance s’estompe, à l’instar de celle de ce mot, et l’on en vient même à s’interroger sur notre propre identité, sur les fondements de notre culture.

Cette oblitération survient lorsque le monnayable obscurcit ce qui n’a pas de prix. Le prétendu nécessaire mercantile de notre société supplante dès lors l’héritage culturel en imposant la seule valorisation du présent. Par ailleurs, cette « pensée unique » fondée par l’appât du gain, remet en cause le sens même du mot culture, par sa volonté de discréditer les opinions divergentes. Son souhait d’uniformisation pousse à se détacher de l’autre pour s’appesantir sur soi-même, pour se conformer à une représentation morne et sans éclat. Mais la culture n’est pas cela, elle est le développement et l’enrichissement d’une idée à partir de l’expérience de la diversité. Elle est le fruit de la richesse des différences. La culture est accueil de l’autre, et son altérité en est la clé de notre recherche d’identité. Pour le dire autrement, non ! L’Europe n’est pas uniformisation des cultures ! Non ! L’Europe n’est pas création d’une autre culture ! Elle est l’émergence d’une culture par la confluence de civilisations et de pensées diverses. L’Esprit européen, c’est l’esprit juridique, la tolérance, la diversité, c’est l’esprit critique, la distinction dans la discipline de l’esprit, dans les arts et la littérature.

Souvenons-nous des enseignements du christianisme, précepteurs des valeurs inscrites dans la Déclaration des droits de l’homme : égalité, fraternité, et liberté, libération des esclaves, de la science et de l’intelligence. Raison et foi deviennent compatibles. De son appel à l’examen de soi-même, à l’introspection par la théologie spéculative. De sa remise en cause des certitudes établies, de son invitation à la réflexion, à l’humilité et à la quête de vérité.

Souvenons-nous de l’unification, religieuse et culturelle, par l’ordre de Cluny dont les monastères semblent étonnamment bien esquisser le territoire européen. Souvenons-nous de l’ingéniosité romaine, dans son urbanisme sophistiqué par l’agencement de réseaux irréprochables, aqueducs, égouts souterrains, routes inlassables, tissant des liens entre les peuples. De son organisation sans égale par ses institutions républicaines, sa magistrature équilibrée, son droit universel, garante de justice et de stabilité.

Mais souvenons-nous de l’intensité de l’Esprit grec, de sa discipline, et de son acuité. Origine fondatrice de l’édifice psychique.

Souvenons-nous du nombril même de ce monde, de ce lieu où les paroles, germant d’un théâtre de pierres, naviguent par-delà les mers. De ce même théâtre où la volonté de transmettre s’élève, où la culture se propage même aux plus démunis grâce à Périclès. De ce lieu où architecture, sculpture, peinture, musique, géométrie, philosophie et poésie n’ont qu’identité commune. De ce temps où la diversité des arts émane d’une quête inextinguible de la recherche de la vérité.

Car de là réside le fondement même de notre culture, une culture d’héritage, alliant identité, altérité et diversité. « Car Je est un autre. ». Mais « la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ! », dixit André Malraux. Alors, souvenons-nous de ce legs, et acharnons-nous à ces différences qui font de nous des Européens.

Axel Mannu