Notre langue mérite-t-elle qu’on prenne les armes ?

La langue est essentielle à notre existence, à notre liberté et à notre identité. Pour la défendre, il ne faut pas recourir à la violence, mais à la parole, à l’écriture et à l’expression. La langue est une arme puissante, capable de libérer et de préserver l’humanité.
Imaginez-vous, un instant, dans une prison silencieuse. Vous êtes là, dans l’obscurité, incapable de bouger, de parler, de vous libérer. Le monde autour de vous poursuit sa frénésie, mais vous ne pouvez rien dire, rien faire, juste observer. Une chambre sans fenêtres, un monde sans voix, un ciel sans étoiles. Vous êtes conscient, vous entendez, vous ressentez, mais tout vous échappe. Vous êtes une âme prisonnière. Cette histoire c’est la mienne. Je m’appelle Terry Wallis, j’habite aux États-Unis, et le 13 juillet 1984, je plongeais dans un rêve, infini. 19 ans dans un coma profond, 19 longues années où le monde m’a cru silencieux, sans conscience, sans pensée. Mais j’étais là. J’entendais les voix des miens, ressentais leurs présences, mais j’étais, tout comme une ombre dans un miroir, incapable de les toucher, de leur répondre ou de les voir. Un prisonnier sans chaînes, âme piégée dans une carapace de chair. Mais surtout, un homme privé de la seule arme capable de briser ses murs : la langue.
Moi, Terry Wallis, j’ai été privé de la parole malgré moi. Et comme on dit : c’est quand on perd les choses qu’on se rend compte à quel point on y tient, ou du moins à quel point on y est habitué.
Alors, aujourd’hui, que faisons-nous de notre langue ? La laissons-nous dépérir sans la défendre ? Car si on ne peut plus parler, que reste-t-il ? Un cri qui meurt avant d’atteindre les autres, une pensée qui s’éteint faute d’être entendue.
La langue est l’essence même de notre existence, le lien invisible qui nous relie au monde. Sans elle, que serions-nous ? Des âmes perdues, criant dans le vide. Elle transforme le silence en vie, donne forme à nos pensées, un nom à nos émotions. La langue est notre souffle vital, sans elle, nous suffoquons dans le tumulte de ce que nous ressentons. Chaque mot prononcé est un acte de liberté. Un « je pense », un « je souffre », un « je t’aime », ces mots nous rendent vivants.
La langue éclaire l’obscurité de notre cœur, elle fait naître la douleur et l’amour, donne vie à ce que nous portons en nous. Sans elle, nous serions figés, sans expression, sans liberté. Parler, c’est donc offrir des morceaux de nous-mêmes.
La langue est une danse qui ne peut naître sans être partagée, un tango où chaque mot attend son cavalier. Elle est l’étreinte entre notre cœur et celui des autres. Elle nous permet de partager notre vérité, de nous faire entendre. Sans elle, nous serions invisibles, enfermés dans notre silence. La langue est donc ce que nous avons de plus précieux.
Elle est notre lumière dans l’obscurité, elle nous permet de résonner, de marquer, de vivre. Sans elle, nous ne serions que des ombres, des pensées sans voix, des rêves sans éveil.
Alors oui, ce soir, je vous le dis, il faut prendre les armes, pour défendre notre langue qui nous est si chère. Mais ces armes ne sont pas des armes de destruction, elles ne sont pas là pour attaquer. Elles sont des armes de construction. Elles sont là pour préserver. Car défendre la langue, ce n’est pas seulement la protéger, c’est aussi comprendre sa puissance. Elle n’est pas qu’un trésor fragile à conserver, elle est une force vive, une arme en elle-même. Une arme plus tranchante que l’acier, plus redoutable que la force brute.
En effet, une idée bien formulée peut abattre un empire, une vérité bien dite peut renverser un tyran. L’histoire en est témoin. Quand les peuples ont voulu se libérer, c’est par la langue qu’ils ont commencé. L’indépendance de l’Inde, par exemple, n’a pas débuté avec des combats, mais avec les discours de Gandhi, qui a su faire résonner la force de la parole contre l’oppression. Les plus grandes batailles ne se gagnent pas d’abord sur-le-champ de guerre, mais dans les esprits. La langue est une arme, car elle convainc, elle soulève, elle unit.
Elle est le dernier rempart contre l’oubli. Quand un peuple perd sa langue, il perd son histoire. Quand il perd son histoire, il perd son identité. Que reste-t-il alors, sinon une ombre dans le miroir du passé ?
La langue se défend par elle-même. Elle n’a pas besoin de baïonnettes, elle a besoin d’être parlée, écrite, transmise. Elle a besoin qu’on la fasse vivre. Ce n’est pas par la force qu’on la protège, mais par l’usage. Chaque mot prononcé, chaque livre lu, chaque pensée exprimée est un rempart contre son effacement.
Alors oui, prenons les armes. Mais pas celles qui détruisent, pas celles qui blessent. Prenons les armes de la langue. Écrivons. Parlons. Déclamons. Car un peuple qui parle est un peuple debout. Un peuple qui écrit est un peuple immortel.
Et si, un jour on tente de nous faire taire, si un jour on tente d’effacer ce que nous sommes, souvenons-nous que les mots sont les seuls combats que l’on gagne sans jamais verser une goutte de sang.
Souvenons-nous que notre langue n’a pas besoin qu’on meure pour elle. Elle a besoin qu’on vive pour elle.
Guillaume Dury