Lettre n° 18- Courrier du mois n°3-

RÉSISTER

Témoignage

un acte de lucidité et de création.

Résister, c’est refuser l’injustice, se souvenir, penser, agir et reconstruire

Je résiste. Le mot vient du latin : persister, encore et encore, dans le temps, dans l’espace. Rester. Tenir. Se poser. S’arrêter. À première vue, la résistance semble être une forme d’immobilité, une ancre jetée dans la tempête, stable, mais figée. Et pourtant… Si l’on tourne quelques pages de plus dans le dictionnaire, on découvre une autre lumière, des élans inattendus : se relever, renaître, s’élever, bâtir, ériger. Être efficace, même comme un remède face au poison. La résistance, alors, ne serait plus seulement une posture : elle devient mouvement, reconstruction, souffle de vie. Un acte de création autant que de refus.

Qu’est-ce que résister, alors ? Qu’est-ce que la Résistance ? Chez moi, c’était mon grand-père, qui à vingt ans, allait siphonner l’essence des chars allemands. C’était sa propre mère, ma bisaïeule, qui cachait les fusils du groupe de partisans entre les draps. C’est ma mère, qui m’a transmis toutes ces histoires, et, je l’espère, un peu moi aussi en vous les racontant, ici, maintenant.

Résister, c’est d’abord s’arrêter : réfléchir, penser, discuter, choisir. C’est prendre le temps d’écouter, de comprendre, puis, si nécessaire, critiquer sans ménagement. C’est la pause avant l’action. Résister, c’est aussi taper du poing sur la table, tracer une limite infranchissable – le Rubicon de l’injustice – et se placer en travers du chemin. Mais une résistance véritable, une résistance efficace, ne s’arrête pas au refus. Elle ne fait pas que bloquer ce qu’elle estime injuste. Elle propose, reconstruit, élève et, pourquoi pas, soigne.

La Résistance, aujourd’hui, c’est aussi, et surtout, appeler les choses par leur nom. Et c’est précisément cela qu’on demande aux nouvelles générations, en Europe et ailleurs : reconnaître les dynamiques qui se répètent, y voir clair, nommer les faits avec les mots qu’on leur a donnés, il y a des années. Je ne crois pas que la Résistance d’aujourd’hui soit si différente de celle d’hier ni de celle qui viendra. Il ne s’agit peut-être plus de prendre les armes, de guérilla ou de lutte civile, mais elle demeure la conscience critique, l’idéal, le souvenir. Elle est ce geste fragile, mais puissant : faire vivre la mémoire collective au cœur même de la collectivité, et à partir de là, construire, élever, soigner.

La question à laquelle je devais répondre dans cette lettre était celle-ci : « qu’est-ce que la résistance, dans la vie quotidienne d’une jeune Européenne ? » Dans un moment de l’histoire où nous sommes bombardés de nouvelles, tantôt terribles, tantôt futiles, parfois glaçantes, parfois légères. Résister, c’est aussi continuer à lire, à s’informer, à rester attentif à ces enjeux, à ces drames, à ces vérités qui pourraient se perdre entre deux flashs d’info. Aujourd’hui, plus que jamais, résister, c’est prendre du recul, accorder du temps, s’arrêter face aux événements, les rendre présents, insister.

Dans un monde où les outils existent pour un dialogue global, intégré, informé, résister, c’est mobiliser tous ces moyens, pour que ce dialogue ait lieu, et qu’il serve, encore une fois, à soigner, construire, élever.

Chiara Casagrande (vit à Bologne)