Lettre n° 13- Décembre 2023

A la fin du XIXe siècle, les artistes polonais vont glorifier par la peinture la tumultueuse histoire de leur pays

Ignacy Paderewski (1860-1941)

« Pologne Peindre l’âme d’une nation, 1840-1918 » est le titre d’une grande exposition réalisée au Louvre-Lens en 2019 pour célébrer le centenaire du 3 septembre 1919 où fut signée la convention entre le France et la Pologne relative à l’émigration et à l’immigration. Ce qui a permis la venue de travailleurs polonais dans le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais. Environ 300 000 Polonais ont ainsi concouru au développement économique et à la construction de l’identité d’une région. Ils viendront aussi dans d’autres bassins miniers comme en Saône-et-Loire. Entre 1840 et 1918, les artistes vont créer un imaginaire patriotique, une identité nationale, la « polonité » , en poésie, en musique, en peinture et en gravure.

On connaît Frédéric Chopin (1810 -1849) mais nous avons oublié Ignacy Paderewski (1860-1941) pianiste, compositeur, mécène, philanthrope, homme d’État et diplomate. Paderewski sera le représentant américain du Comité national polonais à Paris, l’entité politique qui préparait, avec l’Entente (la France, la Russie et le Royaume-Uni) l’indépendance de la Pologne. En 1919, il deviendra premier ministre et ministre des affaires étrangères. La montée du fascisme en Europe et du nazisme en Allemagne conduisent de nouveau le musi- cien vers l’engagement politique. Sa maison devint le lieu de discussions entre hommes politiques polonais en exil. En 1939, suite à l’agression allemande puis soviétique, la Pologne, en tant qu’état indépendant, cesse à nouveau d’exister. Paderewski prend alors part au gouvernement polonais en exil, d’abord basé en France puis en Angleterre. Décédé aux États-Unis, ses restes seront transférés en Pologne et ses cendres placées dans la crypte de la cathédrale Saint-Jean à Varsovie en 1992. Paderewski est en partie formé et influencé par la musique française, en particulier Debussy.

Ce sera aussi le cas des peintres et graveurs polonais. Paris et la France représentant LA référence artistique.

L’adoption de la Constitution du 3 mai 1791. Jan Matejko, 1891, Varsovie, Musée national.

Prenons Jan Matejko (Cracovie, 1838-1893) et son œuvre L’adoption de la Constitution du 3 mai. Cette huile sur toile, monumentale pein- ture d’Histoire, relate la scène solennelle où le roi de Pologne Stanislas Auguste entre à la cathédrale Saint-Jean pour prêter serment à cette nouvelle constitution votée par la Diète en 1791, transformant l’État en monarchie parlementaire moderne.

Retenons aussi Jacek Malczewski (1854, Radom -1929, Cracovie). Il est le grand représentant du mouvement symboliste en Pologne.

Melancholia, 1890-1894, Huile sur toile, 139,5 cm x 240 cm, Poznan, Musée National

Au Louvre-Lens, ce tableau d’une composition singulière a à la fois fasciné et dérouté.

En 1894, Cracovie est toujours sous domination austro-hongroise et le peintre doute apparemment de l’influence de son art sur les événements. Il se représente dans son atelier, de dos, accablé. De sa toile s’échappe en tourbillon le sujet de son œuvre, l’histoire du XIXe siècle polonais, entre insurrections, répressions et déportations en Sibérie. Sous sa signature, en bas à droite, sont disposés les outils du peintre, curieusement éloignés de lui, comme un aveu d’impuissance. Ils sont en revanche à portée de main d’un autre peintre, pinceau et palette en mains, présenté au milieu d’un groupe d’artistes ; on reconnaît un violoniste et un jeune garçon dévorant un livre, peut- être un futur poète.

Les représentants de la Jeune Pologne ont voulu donner sens à l’idée de nation polonaise alors que le pays était une mosaïque de communautés en les représentant dans leur diversité, leurs mœurs et coutumes, leurs récits populaires, leurs paysages et unir les points de vue ethnique, religieux ou culturel par l’art.

Aleksander Gierymski (1850-1901), La Fête des Trompettes,1884, Huile sur toile, 47 cm x 64,5 cm, Varsovie, Musée national.(malarz); Święto Trąbek I; 1884; olej; płótno; 47 x 64,5 [75 x 90 x 10]

Peinture réaliste de la vie quotidienne des quartiers pauvres de Varsovie avec les berges de la Vistule et le quartier de Solec ou des Juifs célèbrent Roch Hachana. Le nom « Solec » est dérivé du mot polonais désignant le sel – sól – qui était largement commercialisé et transporté dans ce quartier depuis la fin du Moyen-Âge.

Wladyslaw Jarocki (1879, Ukraine actuelle-Cracovie, 1965,) Les Houtsoules, 1911-1920, Huile sur toile, 201 cm x 282 cm, Varsovie, Musée National.

Les trois jeunes filles dans leur costume traditionnel des montagnes des Carpates orientales avancent en souriant à leur accompagnateur. Jaroki a peint d’autres tableaux des cérémonies de ce peuple.

Le choix, en 2019, des responsables du Louvre-Lens et du Musée national de Varsovie – soutenu par le programme culturel inter- national POLKA 100 – de valoriser l’année 1919 et les liens humains créés par l’immigration polonaise en France, montre une fois de plus la richesse et l’intérêt des migrations en Europe.

Nane Tissot