Lettre n° 12- Mai 2023

« De la ferme à la table » ou repenser notre lien fondamental à l’alimentation

Les prix des aliments s’envolent ; 14,3 % d’augmentation en un an (Insee, mars 2023), même les lapins de Pâques en chocolat (+10%) sont sidérés et les agriculteurs « bio » cherchent un second souffle ! En cause, les problèmes et les conflits sanitaires, phytosanitaires, climatiques, économiques, géopolitiques liés à notre nourriture. Quelques exemples au mois de mars : la sécheresse fait qu’on se bat pour l’eau, même en France. Dans la foulée, un «plan Eau» issu des Assises de l’Eau (sept. 22) est annoncé « pour anticiper les effets du changement climatique et le grand stress prévu cet été ». On apprend cette semaine qu’au pays du «Château la pompe» un tiers des eaux du robinet est contaminé par un antifongique interdit depuis 2020, le chlorothalonil, « cancérigène probable » mais sans risque sanitaire assure le gouvernement. Croisons les doigts ! Les quotas de pêche proposés par la Commission Européenne aux Etats membres pour d’excellentes raisons, attisent la colère des pêcheurs de Boulogne qui se mettent en grève : le cabillaud risque de disparaître de nos assiettes et les soles sont déjà hors de prix. AuxPays-Bas les paysans, champions de l’élevage intensif, refusent de réduire la taille de leurs cheptels. Or, ils génèrent 40 % des émissions d’azote ; les sols y sont gorgés d’azote et les eauxde leurs fleuves et canaux envahies par les algues vertes comme en Bretagne ! Au Grand Duché de Luxembourg, la Justice vient de refuser l’interdiction des glyphosates potentiellement cancérigènes. Leur pays avait été pionnier pour les bannir. Bayer triomphe ! Bref, diminution des ressources, empoisonnement de nos nutriments, famines dramatiques, inflation, se télescopent à un rythme accru suscitant colères, oppositions et exigences nouvelles.
Conscients de ces menaces, et de ces opportunités, beaucoup d’entre nous surveillent leur porte-monnaie et veulent prendre en main leur santé et celle de la planète.

Edito

Être à table, c’est partager une longue chaîne d’acteurs, de la préparation de la terre, à la table en passant par les semailles, la croissance, les récoltes, le stockage et la transformation – industrielle ou en cuisine – jusqu’au traitement de nos rejets. Ces acteurs contribuent à tisser notre lien aux autres et à la terre elle-même.
Encore faut-il qu’ils recherchent ensemble le bien commun (air, terre, eau, monde du vivant) à court, moyen et long terme par une confrontation respectueuse des uns et des autres. Aujourd’hui, plus que jamais cette recherche est vitale. La gestion des terres, la production agricole et l’alimentation doivent changer en profondeur pour red́uire le rećhauffement climatique et préserver nos santés.
Notre Lettre n° 12 est consacrée à cette nouvelle donne avec en toile de fond, un programme européen voté en 2020. Au titre alléchant « De la ferme à la table » il ambitionne de réduire d’ici 2030 le recours aux pesticides dans les champs européens (- 50 %) et l’usage d’engrais chimiques (- 20 %). Cela suppose de changer nos pratiques et d’orienter les recherches (INRA, INRIA, organismes agricoles…) pour apprendre et mettre en œuvre à grande échelle la régénération naturelle de sols devenus arides par des années d’intrants déversés. Il y va du climat, de nos santés et de la vitalité de nos sociétés.

Des professionnels du Clunisois convaincus par ce projet, adeptes des circuits courts, forment une chaîne de passionnés : agriculteurs, épiciers solidaires, formateurs, élus, chercheurs universitaires, cuisiniers, restaurateurs. Notre Lettre invite à les rencontrer, à apprécier leurs réalisations et leurs produits. Belles découvertes et bon appétit ! Se nourrir, c’est introduire la relation au cœur de l’alimentation.

Philippe Mayaud, Robert De Backer