Lettre n° 13- Décembre 2023

Entre la Pologne et l’Union Européenne, d’intenses crispations et un happy end

Des Polonais pro-européens manifestent contre la décision de la cour constitutionnelle polonaise de remettre en cause la primauté du droit européen, le 10 octobre 2021 à Varsovie (Pologne). (PIOTR LAPINSKI / NURPHOTO / AFP)

Oubliées les relations de fiançailles et la lune de miel avec l’Union européenne ? Depuis 10 ans le gouvernement polonais a fait cavalier seul sur de nombreux points : liberté de la presse, indépendance de la justice, respect des minorités sexuelles, budget de l’UE. En filigrane, une question de fond : le droit national prime-t-il le droit européen ? Le gouvernement polonais répond par l’affirmative en esquivant les principes fondamentaux et les valeurs de l’Union. Ce qui a enclenché de la part de la Commission, gardienne de ces valeurs, un bras de fer tenace.

Tout commence en 2015 (11 ans après l’adhésion à l’UE) avec l’élec- tion d’Andrzej Duda à la Présidence. Son parti conservateur “Droit et Justice” (PiS) avait obtenu la majorité absolue. Dès lors, les dérives autoritaires vont se succéder, enclenchant mesures de rétorsion de la Commission et votes du Parlement EU. Bien sûr, Varsovie est loin de Paris et ces conflits n’intéressent pas les Français. Par contre les Polonais descendent dans la rue pour manifester, dès 2015 et en 2016 par milliers. De 2015 à 2023 pas une année ne se passe sans incidents sérieux.

Exemple : les droits des LGBT. Le 15 juillet 2021, la Commission européenne ouvre des procédures d’infraction contre la Pologne pour « atteintes au valeurs fondamentales de l’Union européenne ». En cause : certaines collectivités polonaises ont décrété des « zones sans idéologie LGBT ». Elles ont deux mois pour répondre à la mise en demeure de la Commission sous peine d’être privées de fonds de cohésion. Moins d’un mois après cette menace quatre régions polonaises renoncent aux chartes homophobes qu’elles avaient adoptées.

Autre exemple : la réforme judiciaire initiée en 2015. D’après la Cour de Justice de l’UE, (CJUE) elle gomme la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, refuse la primauté du droit européen et « remet en cause les fondations de l’Union européenne » (Ursula von der Leyen). La CJUE exige sa suspension. C’est contraire à notre constitution rétorquent les Polonais ! En 2021, la réforme judiciaire, tel le monstre du Loch Ness, refait surface. Le 7 septembre la Commission impose à la Pologne des sanctions financières : ce sera un million d’euros d’astreinte quotidienne tant qu’elle n’aura pas obtempéré. Sans réponse de Varsovie début 2022, la Commission exige le paiement de 69 millions d’euros de pénalités. Pas de réaction ! La Commission afin de régler cette astreinte, prélève la part du budget qui devait lui être versée, soit 160 millions d’euros de fonds européens. Le 13 janvier 2023, les députés polonais adoptent enfin un texte réformant la chambre disciplinaire de la Cour suprême, condition imposée par l’Union européenne.

Happyend ? Pas sûr ! Le16 mai 2023, la Pologne n’a pas encore touché le moindre euro du plan de relance européen (35,4 milliards d’euros) adopté par les 27 états membres. Le texte voté par les députés polonais le 13 janvier 2023 était une première étape pour débloquer les fonds « la loi doit encore passer la seconde chambre, avant que l’on ne puisse analyser le texte final » (Ursula von der Leyen). La Commission a la dent dure.

L’invasion de l’Ukraine (février 2022) a- t-elle réchauffé les relations de la Pologne avec l’U.E. ? C’est probable. Son accueil généreux des réfugiés ukrainiens (1 600 000), sa volonté de sanctionner durement la Russie de Poutine, à la différence de la Hongrie, son alliée, contre l’état de droit et la constitution de l’UE, ont contribué peut-être à débloquer le plan de relance. En janvier 2023, le Premier ministre Mateusz Morawiecki déclarait : « Il faut mettre fin au conflit à l’Ouest, le véritable ennemi est à l’Est ». Quoiqu’il en soit, une conclusion s’impose : l’appel au respect des valeurs morales est souvent moins efficace que les arguments sonnants et trébuchants.

Donald Tusk, au siège de l’Union européenne, à Bruxelles, le 25 octobre 2023 pour débloquer les fonds de relance. AFP

Surprise ! Ce 15 octobre 2023 le Parti Droit et Justice (PIS) au pouvoir depuis huit ans, a perdu les élections au profit d’une coalition dirigée par Donald Tusk. La participation record a dépassé celle qui avait amené au pouvoir Solidarnosc. Elle témoigne de la vitalité démocratique des Polonais. Les jeunes ont voté en nombre, ainsi que les femmes opposées à la législation anti-avortement du PIS. Le nouveau gouvernement fait face à des travaux d’Hercule : rétablir l’état de droit, la liberté de la presse et la crédibilité de la Pologne dans l’U.E. Les europhiles sont soulagés. Donald Tusk saura y faire. Ancien premier ministre, il a été Président du Conseil européen (2014- 2019). Mais la cohabitation avec le président de l’État, Andrzej Duda, ultra-conservateur, sera rude ! Cependant la majorité démocrate a remporté la présidence de la Diète et déposé le 14 novembre 2023 déjà deux projets de loi sur l’avortement. Affaire à suivre passionnément.

RDB
Sources : La Croix, Le Monde, Euractiv.