Lettre n° 12- Mai 2023

La tradition des moines de Cluny

Moine goûtant du vin dans un cellier Miniature finXIIIe, Livres dousante, d’Aldobrandino daSiena BritishLibrary, Londres.

« DE LA FERME À LA TABLE », LES MOINES SURENT Y FAIRE.

Dans un contexte tout différent du nôtre – ni transition climatique, ni engrais, ni pesticides chimiques, ni productivité – en un siècle et demi (du XIe au XIIe siècle), ils fondent une trentaine d’exploitations agricoles, les doyennés / granges, dont six fortifiés, dans un rayon d’environ 50 km autour de l’abbaye.

Les moines de Cluny à table XVe siècle

Ils y pratiquent une agriculture de subsistance sur de grandes surfaces : 1000 ha d’un seul tenant pour le plus grand d’entre eux.Lieux de prière, de paix (négociations de désaccords, conflits, etc.) , d’hospitalité et de résidence de nombreux fermiers et de leurs familles, les doyennés approvisionnaient la communauté des moines, ses hôtes, les pèlerins, leurs mulets et leurs chevaux, et les pauvres, en nourriture, en laine pour les vêtements, en peaux pour parchemins, en bois, en céréales, en légumes, en vin. Ce qui faisait beaucoup de monde. En 1085, à la veille du carême, le monastère nourrit quelque 17 000 personnes ; il avait fallu, dit la chronique, abattre 250 porcs !

LA TABLE DES MOINES ÉTAIT BONNE ET MÊME GASTRONOMIQUE !

Au XIe siècle, Pierre Damien, légat du pape, s’étonne « des apprêts recherchés, d’excellentes sauces, de savoureux poissons… » et un siècle plus tard, Bernard de Clairvaux est scandalisé que « les cuisiniers connaissent 36 recettes de cuisson des œufs ». Pierre le Vénérable le justifiait, non sans réserves, par les longues heures passées à la liturgie et à la prière. D’après les coutumiers, il y avait à l’abbaye deux cuisines (« coquinae » en bas latin qui aurait donné « coquin » !) ; l’une, régulière dans laquelle des moines préparaient à tour de rôle la boulangerie et les plats : fèves, légumes, etc. selon la règle de saint Benoît ; une autre où des serviteurs laïques concoctant une gastronomie monastique, mijotaient œufs, poissons (brochets, lamproies, anguilles..), fromages et fruits variés.

Moine goûtant du vin dans un cellier Miniature finXIIIe, Livres dousante, d’Aldobrandino daSiena BritishLibrary, Londres.

Quant au vin, les moines le buvaient souvent épicé. Trop pour bien faire ! À tel point que Pierre le Vénérable limitera (en 1140 ?) le « pigmentum » vin aromatisé – miel et épices – au seul repas du Jeudi Saint. « Cluny fut en son temps un véritable centre européen d’œnologie : son savoir vitivinicole s’est étendu aux confins du continent dans des milliers d’abbayes sœurs et de prieurés, en parallèle avec son rayonnement spirituel »(1).

(1) E. Steeves. Cluny, le vignoble invisible, Académie de Mâcon 2013.

RDB