Focus

BIENNALE DE VENISE 2024

Biennale Art 2024 : Stranieri Ovunque - Les étrangers partout

Notre Lettre 14 sur les migrations en Europe vient de paraître. L’expression artistique y est liée à la réflexion sociétale. Dans ce FOCUS nous attirons le regard sur une grande manifestation d’art contemporain, La Biennale de Venise.

La Biennale d’art contemporain de Venise 2024 expose les migrations et leurs drames et montre par la diversité des expressions artistiques des réflexions profondes sur les questions sociales, historiques et culturelles les plus pressantes de notre époque.

Elle donne, du 20 avril au 24 novembre 2024, une visibilité à des artistes internationaux souvent peu ou pas connus. Qualifiée de J.O. du monde de l’art elle mettra en vedette 331 artistes du monde entier.

Depuis sa fondation en 1895, la Biennale a été dominée par les créations occidentales – Europe et Amérique du Nord -, et extrêmes-orientales – Japon, Corée, Chine – plus récemment. L’Afrique, l’Amérique du Sud, le Moyen-Orient ne pesaient guère. Depuis une vingtaine d’années, expositions et publications ont montré que cette vision était fausse et indissociable des impérialismes et des colonialismes.

Deux lieux principaux pour les expositions officielles de la Biennale, sont les Giardini dans le quartier du Castello et les bâtiments de l’Arsenal de Venise.

Le titre de cette 60e Biennale est tiré d’une série d’œuvres réalisées depuis 2004 par le « collectif Claire Fontaine ». Ce sont des sculptures en néonsde différentes couleurs où s’inscrit dans une ou plusieurs langues l’expression Les étrangers partout. Cette dernière est à son tour empruntée au nom d’un collectif turinois qui, au début des années 2000, luttait contre le racisme et la xénophobie en Italie : Stranieri Ovunque. La série de sculptures au néon de « Claire Fontaine » compte actuellement quelque 53 langues, occidentales et non occidentales, et plusieurs langues autochtones, dont certaines sont en fait éteintes.

Voici quelques extraits du texte de présentation de son commissaire général le Brésilien Adriano Perdosa, 57 ans, directeur artistique du MASP, le Museu de Arte de São Paulo :

La toile de fond de cette création est un monde en proie à de multiples crises concernant la circulation et l’existence des personnes à travers les pays, les nations, les territoires et les frontières, qui reflètent les périls et les pièges de la langue, de la traduction, de la nationalité, exprimant des différences et des disparités conditionnées par l’identité, la nationalité, la race, le genre, la sexualité, la liberté et la richesse.

Dans ce panorama, l’expression Foreigners Everywhere a plusieurs significations.

Tout d’abord, où que vous alliez et où que vous soyez, vous rencontrerez toujours des étrangers : ils/nous sommes partout. Deuxièmement, peu importe où vous vous trouvez, vous êtes toujours véritablement et au fond de vous un étranger.

En outre, l’expression prend un sens très particulier et spécifique au site de Venise : une ville dont la population originelle était composée de réfugiés des villes romaines, une ville qui fut à un moment donné le centre le plus important du commerce international de la Méditerranée, une ville qui fut la capitale de la République de Venise, dominée par Napoléon Bonaparte et reprise par l’Autriche, et dont la population compte aujourd’hui environ 50 000 habitants qui peuvent atteindre 165 000 en une seule journée pendant la haute saison en raison du grand nombre de touristes et les voyageurs, étrangers privilégiés, visitant la ville.

A Venise, les étrangers sont partout. Mais on peut aussi considérer cette expression comme une devise, un slogan, un appel à l’action, un cri d’excitation, de joie ou de peur : les étrangers partout ! Et elle revêt aujourd’hui une signification cruciale en Europe, autour de la Méditerranée et dans le monde, alors que le nombre de personnes déplacées de force a atteint son plus haut niveau en 2022, à 108,4 millions selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et devrait encore augmenter en 2023.

Les artistesont toujours voyagé et se sont déplacés, dans des circonstances diverses, à travers les villes, les pays et les continents, ce qui n’a fait que s’accélérer depuis la fin du XXe siècle, ironiquement une période marquée par des restrictions croissantes en matière de déplacement ou de déplacement de personnes. La Biennale Arte 2024 s’adresse ainsi en priorité aux artistes eux-mêmes étrangers, immigrés, expatriés, diasporiques, émigrés, exilés ou réfugiés, en particulier ceux qui ont évolué entre le Sud et le Nord. La migration et la décolonisation sont ici des thèmes clés.

Le straniero italien , le portugais estrangeiro, le français étranger et l’espagnol extranjero sont tous étymologiquement liés au strano , à l’estranho, à l’étrange, à l’extraño, respectivement, qui est précisément l’étranger. Je pense à Das Unheimliche de Sigmund Freud – l’étrangeté en allemand, qui en portugais a d’ailleurs été traduit par « o estranho » – l’étrange qui est aussi familier, à l’intérieur, au fond. Selon l’American Heritage et les Oxford Dictionaries, le premier sens du mot queer est étrange, et ainsi l’exposition se déroule et se concentre sur la production d’autres sujets connexes : l’artiste queer, qui a évolué au sein de différentes sexualités et genres, souvent étant persécuté ou interdit ; l’artiste outsider, qui se situe en marge du monde de l’art, à l’instar de l’artiste autodidacte, de l’artiste populaire ; ainsi que l’artiste indigène souvent traité comme un étranger dans son propre pays.

En dehors des pavillons nationaux, cette exposition internationale s’étendra sur plusieurs autres lieux de la ville en rassemblant des œuvres du XXe siècle d’Amérique latine, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Par ailleurs deux éléments sont mis en avant : les artistes privilégiant le matériau textile et les familles d’artistes.

Nane Tissot

Pour en savoir plus : www.labiennale.org/en/art/2024