Lettre n° 13- Décembre 2023

Fascinante, tragique, résiliente Pologne

Nicolas Copernic, discret chanoine polonais, médecin et mathématicien (1473 – 1543), élabora une théorie qui allait faire basculer la conception traditionnelle de l’univers : la terre tourne autour du soleil, supposé au centre de l’Univers.
Ce qu’on a appelé la « Révolution copernicienne ». Copernicus est le nom d’un programme de l’Union européenne qui collecte et restitue des données actualisées de manière continue portant sur l’état de la Terre ; une flotte de satellites, 2,1 milliards de budget annuel.

La Pologne est une des plus anciennes nations d’Europe avec la Hongrie. Elle fait aujourd’hui l’actualité tant au sein de l’Union européenne que face à la Russie son encombrant voisin. Son histoire longue, complexe, glorieuse et tragique nous interpelle « Européens de l’Ouest ». On trouvera ci-dessous quelques faits et repères indispensables : dates clés et résumé de mille soixante ans d’histoire.

Université de Cracovie, alors capitale de la Pologne, fondée en 1364. Le « Collegium Maius » ci-dessus, date du XVe siècle

960
les débuts

Vers 960 naît la Pologne sur un territoire presque équivalent à celui de 1945. C’est l’œuvre de Mieszko 1er roitelet Polane (peuple de la plaine, en slave). Ce païen, menacé par les Germains christianisés, épouse une princesse chrétienne de Bohème et se fait baptiser. Sa dynastie, les Piast, durera quatre siècles ! Son fils Boleslas, premier roi de Pologne sera couronné avec l’accord du Pape. Il dédie son État à l’Eglise romaine pour rester indépendant de l’Empire germanique. Le premier évêché polonais sera créé à Poznan en 968. Bref, la Pologne est d’emblée catholique, inscrite dans la civilisation occidentale et indépendante.

En quatre siècles la Pologne devient une grande nation. Ses rois ont fédéré les Slaves, fortifié le pays, accédé à la Baltique, affronté les Chevaliers Teutoniques, combattu les Tatars et les Ottomans, ce qui a soudé les Polonais, convaincus que le sort de la chrétienté était entre leurs mains. Des grandes villes sont nées : Poznan, Cracovie et son université, une des plus anciennes d’Europe.

1386
l’âge d’or

En 1386, Pologne et Lituanie s’unissent pour quatre siècles ! Affaire de mariage et de géopolitique : en 1370 la dynastie polonaise n’a pas d’héritier. Le roi de Hongrie, un Français, Louis d’Anjou, accepte le trône mais meurt lui aussi sans héritier. Sa fille Hedwige, âgée de 11 ans, lui succède comme «roi de Pologne» ! En1386,on la marie à Jagellon, Grand-duc de Lituanie, dernier État païen d’Europe qui s’étend jusqu’à l’Ukraine actuelle. En échange de sa conversion au catholicisme il monte sur le trône de Pologne. Les deux États liés par union personnelle resteront distincts et souverains mais avec le même chef d’État. Une époque bénie. Les Jagellons seront de grands mécènes des arts, stimulant l’humanisme, la liberté religieuse. Ils seront aussi d’influents hommes d’état, garants d’une puissance militaire efficace : les Ottomans définitivement stoppés en Europe, devant Vienne (1683) ; les Chevaliers teutoniques écrasés en 1410, un mythe national, et Moscou occupée (1609 -1612).

Audace politique, haute culture et tolérance religieuse.
En 1505, le roi Alexandre Ier Jagellon adopte une Constitution intitulée en latin « Rien de nouveau sans l’accord de tous ». Elle oblige le roi à associer le Sénat et la Chambre des députés à toute décision fiscale et militaire. Un modèle monarchique « constitutionnel » s’exerce aux confins de l’Europe dès le début du XVIe siècle. Florissante à l’abri des conflits de la guerre de Trente ans (1618-1648), l’Union encouragera la tolérance religieuse, le respect des droits de l’homme, l’humanisme et les arts. La Renaissance sera précoce et brillante dans ce creuset de peuples de langues, de cultures et de religions très diverses.

1569
un tournant majeur

1569 amorçe un tournant majeur : l’État bicéphale unissant Lituanie et Pologne devient une fédération d’états. Le dernier Jagellon décédé sans héritier, il fallait choisir un roi. Faute d’accord entre eux, les nobles polonais et lituaniens créent une nouvelle organisation de l’État, la République des Deux Nations. Une et indivisible, gouvernée par une Diète unique, sa monarchie sera unique et non héréditaire, élective et parlementaire. Le souverain devra réunir la Diète formée des nobles – seuls dotés de droits politiques étendus (10 % de la population), la bourgeoisie et les paysans disposant de droits civiques plus limités – au moins tous les deux ans et suivre ses avis. Chaque État garde ses lois, son administration, son trésor, son armée ; les régions avaient leurs parlements, formant des « communautés de citoyens » fondées sur les valeurs occidentales. La République des Deux Nations, animée par un désir de vivre ensemble à l’encontre de ses voisins et dynamisée par une expérience démocratique précoce comme l’Angleterre et les Pays- Bas, sera une expérience pilote de la liberté, de l’entraide et des droits de l’homme en Europe. C’était magnifique, ce fut compliqué ! Ainsi, beaucoup de ses rois ne seront pas polonais, mais français (Henri de Valois, le futur Henri III de France) ou allemands ! Son régime hybride, mêlant républicanisme nobiliaire et monarchie élective, sera source d’importants blocages et dysfonctionnements. Néanmoins, elle sera un des plus grands États d’Europe regroupant les territoires de la Pologne actuelle, d’une grande partie de l’Ukraine, de la Lituanie, de la Biélorussie, de l’extrémité ouest de la Russie, de la Lettonie et d’une partie de l’Estonie. Cet immense État, ambitieux mais fragile, se prolongera durant deux siècles, jusqu’au troi- sième partage de la Pologne-Lituanie qui raya le pays de la carte en 1795.

1791, 1792, 1795
décadence et agonie, la Pologne déchiquetée

Le nouvel État n’existait que par le bon vouloir de la noblesse. Il va sombrer dans l’anarchie et la division. La Pologne ayant un rôle majeur dans l’Union, dès 1652, la Diète polonaise s’oblige par le « liberum veto » à ne prendre de décision qu’à l’unanimité. Il suffira de la voix d’un seul député ! Dès lors, les grandes puissances autocratiques, Prusse, Russie des tsars, Autriche des Habsbourg, interviendront à qui mieux mieux dans les affaires polonaises. Chacune soutenant son candidat lors de l’élection du souverain. Le trône sera offert ou vendu à grand renfort de cadeaux. Bref, le pays, État impuissant sans force militaire efficace, sera manipulé par ses puissants et gourmands voisins. « Le plus extraordinaire est qu’avec une disposition constitutionnelle aussi absurde, l’État polonais ait encore réussi à survivre pendant plus d’un siècle. D’où ce cruel aphorisme : « Polzka nierzadem stoi » « La Pologne ne tient que par son anarchie ».

Bientôt elle sera rayée de la carte. En 1764, les Russes entrent en Pologne pour faire pression sur la Diète qui choisit Stanislas Poniatowski le candidat de Catherine II de Russie. Il sera le dernier roi de Pologne. Chant du cygne, il dote la République d’une constitution après les États-Unis (1787) et avant la France (3 septembre) – le 3 mai 1791 deviendra jour de la fête nationale. Mais ce texte admirable, idéal, première constitution libérale d’Europe, sera éphémère. Dès 1792 la Russie opposée aux mesures liées à la nouvelle constitution (suppression de l’élection du souverain, diminution des pouvoirs de la noblesse, etc.) envahit le pays. En 1795 la Pologne est supprimée par la Prusse, la Russie et l’Autriche et l’ancienne Lituanie intégrée à la Russie tsariste. Durant deux siècles, jusqu’en 1918, la Pologne sera une « nation sans État ».

Allégorie du premier partage de la Pologne en 1791. Catherine la Grande de Russie (à gauche), Joseph II d’Autriche et Frédéric le Grand de Prusse (à droite) se querellent au sujet de leurs prises de territoire. Ce premier partage sera suivi de deux autres, en 1793 et 1795. Noël Le Mire, 1791 (Conversation)

1918
la Pologne renaît après 123 ans avec l’aide du Président Wilson

Influencé par de prestigieux Polonais, le président Wilson dans sa déclaration de 8 janvier 1918, exigea la création d’une Pologne indépendante avec accès à la mer, ce qui favorisa les choses quoiqu’on en pense. L’indépendance est proclamée le 11 novembre 1918. Jozef Pilsudski, commandant en chef des forces polonaises proclame l’indépendance de la Pologne et devient chef de l’État. En août 1920, les troupes polonaises sous son commandement, battent l’Armée rouge à Varsovie. Une fierté. La Pologne était exsangue. L’enthousiasme de l’indépendance reconquise ne leur évita pas, voisins d’une Russie agitée par la Révolution d’octobre, la rude tâche d’affronter une crise économique mondiale et les difficultés nées de la désintégration des empires. Ses citoyens avaient dû combattre sur les territoires des trois empires où le partage de 1795 les avaient dispersés, avec les conséquences qu’on devine. La Deuxième République procéda néanmoins à un important travail d’intégration des traditions législatives en un tout cohérent. Et elle entreprit de moderniser ses infrastructures.

1939
partagée à nouveau et martyrisée par le IIIe Reich et l’URSS

En 1939, l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique s’allient, par le pacte germano-soviétique pour se partager la Pologne. Ce sera le début de la Seconde Guerre mondiale. Faut-il rappeler ces noms connus de tous, emblématiques des crimes contre l’humanité commis par l’URSS et les Nazis, et d’infinies souffrances : insurrection du Ghetto de Varsovie (1943) et de Vilnius, destruction de Varsovie (1944), massacres de l’élite polonaise à Katyn, Kiev, Kherson, Minsk et Kharkiv – 26 000 morts, près de 7 millions de Polonais exécutés en fonction de leur origine ethnique, Slaves catholiques, Juifs, dans six camps de la mort. Hitler voulait supprimer la nation polonaise, installer un « nouvel ordre ethnique » et peupler la Pologne d’Allemands. Puis, la guerre entre ces deux États aboutira à créer une Pologne communiste durant 44 ans, entraînant en 1945 un changement de frontières : perte du territoire à l’est et « récupération » d’une partie du territoire allemand provoquant une énorme migration polonaise et allemande.

1989
la Pologne résiste et ressuscite encore et toujours

Le 4 juin 1989, à Pékin sur la place Tian’anmen, les chars écrasent toutes velléités démocratiques. Le même jour, en Pologne au contraire, pour la première fois, le monopole d’un parti communiste au pouvoir est brisé, en toute légalité, lors d’élections libres. L’opposition soudée autour de Solidarnosc obtient une victoire écrasante. Cas unique en URSS, le gouvernement polonais sera dirigé par un premier ministre non communiste (24 août 1989) et Walesa sera président en 1990, élu par 77 % des voix, 9 ans après son arrestation. Une révolution réussie sans effusion de sang. Victoire également pour l’Eglise à l’ombre de laquelle, les Polonais avaient trouvé le courage de se rassembler et de lutter pendant des décennies de clandestinité et de répression. La position de la Pologne dans l’Europe changera radicalement. Elle entre dans l’Alliance atlantique en 1999, ce qui lui ouvre les portes de l’Union Europeénne dès 2004. Ses luttes séculaires contre l’ordre europeén des puissances absolutistes puis totalitaires au XXe siècle ont forgé chez les Polonais une vision de l’Europe future en accord avec leurs aspirations plus ou moins proche de celle de l’Union Europeénne d’aujourd’hui.

Concluons avec ce qu’écrivait Voltaire : « La Pologne était bien plus jalouse de maintenir sa liberté qu’empressée à attaquer ses voisins. La discipline et l’expérience lui manquent mais l’amour de la liberté qui l’anime la rend toujours formidable. On peut la vaincre ou la dissiper ou la tenir même pour un temps en esclavage, mais elle secoue bientôt lejoug…»
(HistoiredeCharles XII, roi de Suède, 1731).

PAR ROBERT DE BACKER