Lettre n° 14- Avril 2024

L’immigration en France

– Années 1930-31 : Polonais (500 000), Espagnols, Russes, Arméniens
– Années 1945 : Espagnols, Algériens contribuent à la prospérité économique des « Trente glorieuses » ;
– Années 1960 : Portugais, Marocains, Turcs.
– Fin du XXe siècle : de 1975 à 1999, le nombre d’immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne augmente (+ 39 % en 1999) tandis que ceux d’Europe du Sud, Grèce, Portugal, Espagne diminuent ; en cause, la suppression des dictatures et l’entrée de ces pays dans l’UE.
– En 2015 : la France a accueilli 35 000 personnes venant de Syrie (plus de dix fois moins que nos voisins allemands).

LOI SUR L’IMMIGRATION DU 26 JANVIER 2024

4 points clés à retenir :
– Les travailleurs sans papiers exerçant dans des métiers en tension
(BTP, aides à domicile, restauration…) pourront recevoir comme aujourd’hui, une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié ».
– Ceux qui demandent une première carte de séjour pluriannuelle devront prouver qu’ils ont une connaissance minimale de la langue française.
– Ceux qui demandent un document de séjour devront s’engager à respecter les principes de la République par la signature d’un contrat (liberté d’expression et de conscience, égalité femmes-hommes, devise et symboles de la République…).
– L’expulsion des étrangers qui représentent une menace grave pour
l’ordre public sera facilitée : expulsion des étrangers même présents depuis longtemps en France ou y ayant des liens personnels et familiaux, condamnés notamment pour des crimes ou délits passibles d’au moins 3 ou 5 ans de prison ou impliqués dans des violences contre des élus ou des agents publics. Les protections dont bénéficient actuellement certains étrangers irréguliers (arrivée en France avant ses 13 ans, conjoint de Français…) seront supprimées contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Source https://www.vie-publique.fr/

Dossier

Coups de projecteurs

« Quitter tout pays y compris le sien et y revenir », c’est-à-dire migrer, est un droit (1). Accueillir les immigrés est donc un devoir. « Tout non-Français, né à l’étranger, peut espérer franchir la frontière de notre pays afin de s’y installer pour une durée d’au moins un an » (Insee). Et, contrôler l’immigration est une nécessité. Ces trois principes simples se heurtent à une réalité complexe, ancienne et éruptive.

Musée national de l’Histoire de l’Immigration, Porte dorée, Paris.

Histoires

La France est le plus ancien pays d’immigration d’Europe. Au XIXe siècle, alors que les Anglais, les Irlandais, les Allemands, les Scandinaves et les Italiens quittent en masse le continent pour peupler le Nouveau Monde, la France accueille ses premiers immigrés de travail. « Avec le recul de la fécondité entamé dès 1750 et aggravé par les guerres de la Révolution et de l’Empire, notre pays manque de bras pour s’industrialiser dans la seconde moitié du XIXe siècle » (F. Héran, cf. Sources p.11).

Années 1870 : premières arrivées massives, Italiens dès 1880, Belges, 500 000 en 1886 (cf. encart ci-contre). Ils viennent aider nos entreprises et contribueront à notre prospérité, jusqu’aux « Trente glorieuses ».

Années 1974 : l’immigration de travail, gérée et contrôlée par l’État, sera suspendue en raison de la crise économique jusqu’à la fin du XXe siècle.

1999 : l’immigration reprend. Dès 2011, c’est le « déluge » de migrants arrivés par Lampedusa, suite aux « Printemps arabes », aux guerres de Syrie, aux problèmes climatiques. Ils ne sont plus « recrutés » pour nos entreprises. Ils viennent de leur propre initiative, à tout prix, en quête de liberté, de travail, d’une société imprégnée des droits de l’homme, aidés de leurs portables et d’Internet, victimes de réseaux mafieux ; entre 2014 et 2023, plus de 26 000 personnes ont disparu en Méditerranée (Org. Intern. Migrations).

Aujourd’hui

Au 1er janvier 2022, 7 millions (+/-) d’immigrés (au sens de l’Insee) étaient recensés en France (Métropole et outre-mer) – dont 2,5 millions nés à l’étranger et devenus français, soit 10,3 % de la population du pays (67 millions) (2). Ajoutons-y les immigrés irréguliers et ceux qui se déclarent français de naissance aux recense- ments, on passe à 11/12 % de la population (Insee). Soit, deux fois plus qu’en 1950. Début 2023, un tiers de la population française venait de l’immigration (primo-arrivants, 2e et 3e génération – Insee 03-2023). En résumé, « un tiers de la population a un lien avec l’immigration sur trois générations. » (Sylvie Le Minez, Insee, et Le Point).

Une invasion ?

Pas vraiment, quoi qu’on ressente dans l’instant. Certes de l’année 2000 à 2020, la population immigrée a augmenté de 53 %, soit beaucoup plus que celle de la population, 9 %. Mais sa progression annuelle est stable et continue : 2,1 % (+/-), quelles que soient les majorités politiques, malgré les huit lois votées, et la création en 2006 du ministère de l’Immigration. En 2023, il y eut 142 500 demandes d’asile, soit 8,6 % de plus qu’en 2022. Un tiers d’entre elles ont été acceptées. Tandis que dans l’UE elles augmentaient de 15 à 20 %. Et à mi-2023 on recensait 110 millions de déplacés dans le monde (Les Echos, 19-12-23). En France, il s’agit d’une « infusion durable ». (Héran). En effet, le lien avec l’immigration se dilue au fil du temps. Parmi les descendants d’immigrés, ceux de la deuxième génération sont plus de 50 % à n’avoir qu’un seul parent immigré et ceux de la troisième génération sont neuf sur dix à n’avoir qu’un ou deux grands-parents immigrés.

Migrants faisant la queue devant une administration pour demander l’asile, Les Echos, 2018

Un tsunami de problèmes

Reste que l’immigration génère de nombreux problèmes difficiles à résoudre : le contrôle aux frontières, la recherche et le renvoi des irréguliers, l’intégration des immigrés à notre culture républicaine, l’Islam et la laïcité, les jeunes migrants non accompagnés, les conflits entre immigrés (Turcs et Kurdes par ex.) importés en France et ceux liés à l’international (Guerre de Gaza), le trafic de drogue, la forte densité d’immigrés dans certains endroits, la violence, la délinquance, etc. Le sentiment d’insécurité progresse. Que faire ? Depuis 1980, 29 lois sur l’immigration ont été promulguées (une tous les 17 mois)(3). La nouvelle loi de janvier 2024 (voir encadré ci-contre) après un parcours chaotique réussira-t-elle à résoudre ces problèmes ?

Les immigrés, des « trouble-fêtes »

Pour les Français « de souche », les immigrés sont des « trouble-fêtes identitaires et culturels » (Hélène Bertheleu et Catherine Wihtol de Wenden). Ils sont souvent accusés de constituer une concurrence sur le marché du travail, une menace pour la cohésion sociale, un péril pour la patrie. « Leurs histoires et leurs nationalités ne comptent guère : les préjugés sur les mineurs belges de la fin du XIXe siècle ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux qui visaient les ouvriers algériens des “Trente Glorieuses” ou les jeunes de banlieue d’aujourd’hui » (Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche CNRS et enseignante à Sciences Po.). Depuis 1870, on observe une grande permanence de ces stéréotypes (4). En avril 2024, 92 % des Français jugent que l’insécurité progresse dans l’Hexagone, d’après le dernier baromètre « sécurité des Français » réalisé par Fiducial/Odoxa pour Le Figaro. Plus de la moitié [55 %, NDLR] de nos concitoyens estiment même qu’elle a « beaucoup » augmenté.

Rester « cool », mais comment ?

Comment, dès lors, garder la tête froide et le cœur accueillant face à une immigration croissante, inéluctable, et aux évidents problèmes qu’elle pose ? Refusons les caricatures et les jugements à l’emporte-pièce issus des réseaux sociaux qui squattent nos esprits. En fait, de nombreux immigrés contribuent efficacement à notre confort quotidien ; éboueurs, égoutiers, travaux publics, employés dans les restaurants et les magasins, transports en commun, personnel soignant – infirmières, médecins, aide à la personne – entretien, nettoyage, etc. Sans eux, que ferions-nous ? « L’entre nous » est une illusion mortifère, source de violences sans fin. Les slogans politiques : grand remplacement, tsunami d’immigrés, etc., mobilisent souvent nos émotions négatives, peur et colère. Ils ne se réfèrent à aucune analyse factuelle, sérieuse et honnête. Soyons réalistes : la France a et aura besoin de main-d’œuvre étrangère : par exemple 635 000 postes seraient à pourvoir d’ici 2030 dans les métiers du bâtiment ; les ressources internes n’y suffiront pas. « Si on arrive à former dans l’industrie 800 à 900 000 jeunes et moins jeunes dans les dix ans qui viennent, franchement, ce sera exceptionnel » et « il en manquera encore 100000 à 200000 (travailleurs) qu’il faudra sans doute aller chercher ailleurs ». (Roland Lescure, ministre de l’Industrie, nov. 2023). Enfin, l’immigration progresse dans le monde et en Europe occidentale. C’est une « lame de fond ». Pourquoi la France y échapperait-elle ?

Comment agir ?

Depuis plusieurs années, dans le Clunisois, les migrants ont été accueillis et intégrés de manière exemplaire (5). Bénévoles, élus, institutions ont agi avec pragmatisme et humanité, guidés par une méthode de terrain rigoureuse et exi- geante. Leur mantra : « plus on comprend les situations, plus on découvre des listes entières de solutions ». Face à la nécessité d’une migration devenue inéluctable à cause des guerres et des enjeux climatiques, ils préparent, ce faisant, l’avenir de leur région, au bénéfice de tous, migrants et habitants.

Sources :
Immigration : le grand déni, François Héran, éd. La République des idées, Seuil, 2023.
Presse : Le Monde, Les Echos, Ouest-France, Le Soir.
Musée de l’Immigration, Paris.

Notes :
(1) La déclaration universelle des droits de l’Homme, ONU, 1948. (2) Ce chiffre n’inclut pas les immigrés de deuxième génération.
(3) Site Internet du Musée de l’immigration, Paris.
(4) « On faisait aux Italiens des années 1880 et aux Polonais des années 1930 les mêmes reproches que ceux que l’on adresse aujourd’hui aux Arabes : ils vivent entre eux, ils sont violents, ils ont une pratique religieuse obscurantiste qui menace la laïcité à la française. » (A. Chemin, Le Monde du 2 février 2023).
(5) Voir les articles publiés dans cette Lettre

Robert de Backer